Vous avez peut-être lu le magnifique et sulfureux livre « Les liaisons dangereuses » de Pierre Choderlos de Laclos, roman du XVIIIe siècle français, gouverné par un libertinage très noir, où les deux protagonistes principaux, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, liés par une relation forte et énigmatique, utilisent et manipulent des personnages de leur entourage, dans une course à l’abîme faite de défis sexuels successifs, avec pour prix ultime, la reddition de l’un à l’autre. Le sexe est, dans ce livre, instrumentalisé à des fins de pouvoir. L’un des deux doit gagner et dominer l’autre. Jusqu’à ce que l’un commence à éprouver des sentiments, au milieu de ce processus mécanique, pour l’une de ses « victimes », se met à dérailler par rapport aux règles posées et se détruit lui-même, entraînant l’autre dans sa chute. C’est une oeuvre majeure sur l’anéantissement par le pouvoir et la rivalité, un opus qui nous questionne sur ce que nous sommes prêts à mettre en jeu au service de l’amour ou de la réputation. Elle flirte avec les écrits de Sade, sur le thème de l’épuisement du monde par le sexe et la tromperie qui l’accompagne, comme fin (à tous les sens du terme) en soi.
Roger Kumble, le réalisateur du film, a décidé de moderniser l’histoire, en la situant dans un monde de jeunes Américains, riches et beaux (rien à dire sur le physique des protagonistes, ils sont plastiquement superbes, bien que je ne sois pas sûre qu’ils répondent au livre, soit Sarah Michelle Gellar, Ryan Phillippe et Reese Witherspoon, trois des icônes plastiques de l’époque).
Le film pose problème dans sa transposition même de l’oeuvre. Comme nous ne sommes plus dans les codes du XVIIIe siècle français, dans cette société où le mouvement des Lumières cherchait à lutter contre l’obscurantisme, et notamment celui de la religion, nous ne pouvons pas, si nous n’avons pas intégré cette dimension d’arrière-plan, comprendre ce qui se joue dans le roman. Le libertinage est une transgression de l’ordre établi de l’époque, ce qu’il n’est plus maintenant. Alors comment faire appréhender l’oeuvre par le public actuel, puisque les histoires de coucheries sont entrées dans l’ordre du normal ? Et bien, en exagérant la vulgarité langagière, en faisant de Mme de Merteuil une quasi-traînée, version presque sorcière (impression que le choix de l’actrice, Sarah Michelle Gellar, célébrissime pour sa prestation dans la série « Buffy contre les vampires » et bien fade pourtant, renforce). Le héros, lui aussi transparent, autant dans son physique que dans son jeu, essaye de se donner une allure guerrière par le biais de phrases péremptoires et vulgaires.
Aucune ampleur ici, la grossièreté ne peut remplacer la pensée. Le souffle de l’oeuvre initiale, toute en délicatesse cruelle et ciselures de style, se noie dans un marais de vulgarité qui se veut transgressive alors qu’elle n’est que platitude triste. Et les jeux sexuels qui n’étaient qu’une métaphore de cette transgression dans le roman prennent ici des allures de porno chic sans relief et renvoyé à lui-même dans un vide infini. Ce n’est qu’un film de genre (film de teenagers américains) sur lequel un réalisateur qui doit se piquer de culture a plaqué le motif d’un des plus grands livres du XVIIIe siècle qui n’en demandait pas tant.
Bref, un naufrage…
P.S. : tout le monde ne doit pas être de mon avis, puisque Roger Kumble a pu réaliser deux suites, « Sexe intentions 2 » et « Sexe intentions 3″…
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