Une très intéressante exposition à la Cinémathèque française (Paris), vient de présenter les liens entre Pier Paolo Pasolini et la ville de Rome, prétexte à donner la possibilité de parcourir l’oeuvre de cet artiste et de mieux le découvrir.
De lui, je connaissais le film « L’évangile selon Saint-Mathieu » et le livre « Théorème » (qui est également un film), ce qui est assez peu.
J’ai découvert une personnalité majeure du XXe siècle italien, voire européen. Libre penseur, communiste dans l’âme et homosexuel, il impose en peu de temps sa présence sulfureuse au sein de la vie culturelle.
Originaire du Frioul, d’une famille bourgeoise mais modeste, aux difficultés financières récurrentes du fait de la vie dissipée du père (joueur et alcoolique), il devient professeur de littérature et adhère au Parti communiste, tout en commençant à écrire. En 1950, accusé de détournement de mineur, il est exclu du Parti et de l’enseignement et part à Rome où il s’installe avec sa mère et qu’il ne quittera plus. Il meurt assassiné sur une plage d’Ostie en 1975, dans des circonstances qui restent nébuleuses (à ce propos je vous incite à voir ce passage si beau du film de Nanni Moretti « Journal intime », où Nanni Moretti refait, en scooter, le trajet jusqu’au lieu de la mort de Pasolini).
Un artiste complet
Dès son plus jeune âge, il s’intéresse à la lecture, se montre féru de cinéma et doué en sport ; après de brillantes études, il étudie des disciplines variées, comme la philologie (il publiera des poèmes en frioulan et s’intéressera notamment au catalan), la littérature (c’est un très grand lecteur) et l’esthétique, forgeant ainsi autant de moyens qui vont permettre à son sens artistique de s’exprimer.
Car c’est un diamant à multiples facettes : cinéma (scénariste de « La dolce vita » de Federico Fellini, réalisateur d »Accattone », de « Mamma Roma », de « Médée », de « Salo ou les 120 journées de Sodome »), littérature (des poèmes, des romans « Théorème » ou « Une vie violente », par exemple et des essais), peinture.
A titre d’anecdote, je citerai un entretien donné à la télévision italienne et présenté dans l’exposition, où il explique que, enfermé chez lui malade, il a relu tout le théatre grec antique, et qu’il s’est mis à écrire derechef des pièces en vers et à théoriser une forme de « nouveau théatre » (personnellement, lorsqu’une maladie me terrasse au point que je ne puisse sortir de chez moi, le plus haut niveau de littérature que j’arrive à assimiler doit se situer autour de « Oui-Oui et la gomme magique » 😉 )
Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Léonard De Vinci, en artiste multidisciplinaire, capable d’une expression originale et variée.
Si quelques opus peuvent paraître datés (le cinéma notamment), il n’en demeure pas moins que l’oeuvre est d’une grande cohérence et qu’elle est incarnée dans une densité qui lui est propre. C’est un homme entier, de convictions, qu’elle nous révèle (et que l’exposition met fort bien en lumière). Ce qu’il donne à voir, par petits morceaux, au fil de ses différents talents, c’est l’expression d’une pensée réfléchie et personnelle, sans compromission et qui va « droit au but ».
Un homme engagé et en révolte
Bien que radié officiellement du Parti communiste en 1950 (ou plutôt par procès successifs à partir de cette date…), Pier Paolo Pasolini reste imprégné des idées d’extrême gauche toute sa vie. Peut-être cette exclusion lui a t-elle permis d’affirmer davantage sa liberté de pensée ? On peut soupçonner qu’un homme de cette trempe se serait senti à l’étroit dans une pensée modélisée, quelle qu’elle soit.
Ses relations à l’église et à la spiritualité en sont un bon exemple. S’il peut se montrer très critique (il écrit sur Pie XII un texte au vitriol dénonçant son inaction par rapport aux pauvres de Rome), il flirte avec la religion catholique, dont il semble essayer de retrouver l’essence. Il tourne notamment deux films à motif religieux, sur la vie du Christ, « La Ricotta », qui lui vaut procès sur procès, mais aussi et surtout « L’Evangile selon Saint-Mathieu », dédié à Jean XXIII, qui lui vaut le grand prix de l’Office catholique international. Il y dépeint Jésus comme un homme ordinaire, prêcheur insatiable, qui propage des idées proche de l’idéal communiste, tentant en cela de retrouver une certaine vérité originelle du personnage. Nous voyons à travers cet exemple un homme non assujetti à telle ou telle croyance, qui se fraye seul son chemin intellectuel et spirituel dans le siècle, façonnant peu à peu sa pensée contre les aspérités du monde dans lequel il vit.
Son franc-parler et ses idées critiques (au sens premier du terme), qui ne se laissent pas prendre aux mille pièges de la société dans laquelle il se trouve, lui valent sa réputation sulfureuse. Il s’érige contre les révoltes de mai 68 (en bon communiste, quoique « ex », contre les Trotskystes, mais également avec une vision fort juste du mouvement), contre la télévision et la société de consommation.
Et il emploie sans état d’âme la provocation la plus brutale pour essayer de réveiller ce monde qui l’entoure. Le summum étant atteint par « Salo ou les 120 journées de Sodome », film inspiré du Marquis de Sade et de Dante Alighieri, aux images insupportables – il est toujours interdit aux moins de 16 ans – qui veut dénoncer le Facisme dans toutes ses formes. « Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet il combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation » [P.P. Pasolini « Ecrits corsaires », 1976].
Dans les années soixante, il sillonne l’Italie pour réaliser une vaste enquête sur la sexualité, interviewant des inconnus sur le sujet.
Ce parti-pris iconoclaste (assumé) lui vaut nombre de procès, qui persistent après sa mort. Mais il continue son chemin…
Il faut faire également mention, parmi les éléments qui construisent cette pensée originale, de son homosexualité qu’il essaye d’assumer, difficilement, vu l’époque, et qui le met encore un peu plus en marge. « Un homosexuel, aujourd’hui en Italie, on le fait chanter, sa vie est en danger toutes les nuits », dit-il [La Stampa, 8 novembre 1975].
Sa filmographie, en première approche simpliste, semble s’articuler autour de quelques sujets, le sexe (« Le Décameron », « Les contes de Canterbury » et « Les mille et une nuits », trois oeuvres regroupées sous le titre « Trilogie de la vie »), les classes modestes (« Mamma Roma », « Accattone ») et la violence (« Salo »). Ce qui unit toutes ces thématiques, c’est l’envie de dire, par transgression interposée, tout ce que la vie peut avoir de primaire et comment il faut sans cesse lutter contre cet aspect, mais également combien cela s’avère plus difficile pour certains (la classe pauvre et moyenne). Nous devons nous élever, coûte que coûte, semble nous dire l’auteur.
Pris dans ce mode de pensée, il n’est pas étonnant que la tragédie le fascine et qu’il finisse par mettre en scène « Médée », confiant le rôle principal à Maria Callas, cantatrice tragédienne s’il en est et « Oedipe roi ».
Un homme dans la relation aux autres et au monde
Pier Paolo Pasolini, en cohérence avec ce que j’ai avancé plus haut, s’avère un ami sélectif et éclectique vu de nous, car il choisit des personnalités en harmonie avec la sienne. Sans avoir la prétention de mettre en lumière tous les aspects de sa vie privée, que je ne connais d’ailleurs pas, je citerai un seul exemple, mis à part Maria Callas, Bernardo Bertolucci et Laura Betti qui sont des fidèles.
Le plus grand ami, c’est Alberto Moravia, pour lequel il fait construire une « maison d’amitié » au Sud de Rome, alors qu’il se fait construire une maison au Nord de Rome, toutes les deux équidistantes d’une heure et demie de voiture par rapport à la Ville éternelle. Quel beau symbole !
C’est également un homme inscrit dans les rituels de son époque. Il apparaît dans des cocktails et remises de prix auprès de personnalités culturelles du temps. Bien loin de se poser en critique détaché du monde, il s’en nourrit pour mieux construire sa pensée. Il admire les peintres italiens de l’époque et fréquente les cinéastes contemporains (Mauro Bolognini, Federico Fellini, Bernardo Bertolucci). Il rencontre Jean-Paul Sartre, fait tourner Orson Welles dans un de ses films. Toutes personnalités marquantes qui ont laissé des traces, à son instar.
Ainsi, ancré dans la vie sociale qui l’entoure, il sait en prendre ce qui l’intéresse, s’en nourrir pour mieux exposer sa pensée, concrète et démontrée.
Un écrivain éblouissant
Enfin, je voudrais terminer sur un vrai coup de coeur. J’ai découvert un écrivain, magnifique, pour qui le vocabulaire, précis et choisi, est un vecteur pour faire passer, d’une manière percutante, ses idées. Les textes sont magnifiques, d’une écriture soutenue et intemporelle.
Un vrai coup de coeur, dont j’avais l’intuition, mais qui se confirme grâce à cette belle mise en scène de la Cinémathèque française. Merci !