Peinture – Ferdinand HODLER (1853-1918)

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Je continue dans l’exploration des peintres européens à la césure du XIXe et du XXe siècle. Après un Allemand (Menzel), un Espagnol (Pinazo) et un Français (Monticelli), voici un peintre suisse que j’ai découvert lors d’une incursion à Bâle, où une exposition lui était consacrée à la Fondation Beyeler. Il fait pour moi partie de la même veine, je n’ose parler de « mouvement », de ces artistes dans la continuité de la peinture antérieure, qui sans la révolutionner, intègrent des éléments nouveaux dans leur technique. Loin de la rupture des  impressionnistes, par exemple, ou d’un Vincent Van Gogh, ils en adoptent pourtant quelques traits. Comme en filigrane, ils tissent un lien continu entre l’avant et l’après en une évolution plus lente et moins visible que les « têtes d’affiche » que nous connaissons tous (Impressionnistes, Symbolistes comme Klimt,…).

La vie de Ferdinand Hodler n’a rien de particulièrement frappant, vu de l’extérieur, il a vécu toute sa vie en Suisse, comme peintre ou professeur des beaux-arts, principalement à Genève. Il fait de son pays son premier objet d’étude, notamment comme peintre paysagiste. Il s’adonne également au portrait et à l’auto-portrait (voir ci-dessus). La mort de sa maîtresse, Valentine Godé-Darel, en 1915, l’attriste profondément. Lui-même atteint quelque temps après d’une maladie pulmonaire, il ne quitte plus guère son appartement genevois dans les derniers moments de sa vie, peignant et repeignant sans cesse le Lac Léman et les montagnes qui le surplombent.

Dans ce magnifique endroit qu’est la Fondation Beyeler, conçue par Renzo Piano, j’ai eu un choc devant ces toiles qui semblaient nous aspirer vers leur lumière intrinsèque. Nous sommes dans un univers à la fois transparent et éthéré, et très solide, empli d’angles surlignés et de blocs de couleurs brutes qui viennent faire contrepoint à l’immatérialité presque liquide de l’ensemble. Pour rendre ces effets, le peintre utilise une technique qui consiste à marier dans la toile zones de flou et séquences proches de l’hyperréalisme. Cela donne une peinture à la fois très datée dans son siècle et intemporelle. Il me semble d’ailleurs qu’il est ou aurait pu être un inspirateur de Peter Doig (voir article sur ce blog).

Il faut également faire mention d’une série de peintures tout à fait particulière, qu’il a réalisées lorsque sa maîtresse, Valentine Godé-Darel est tombée malade, puis est décédée des suites d’un cancer. Ces toiles (voir plus bas une de ces toiles) pourraient choquer, car elles montrent dans toute sa vérité la décadence d’un corps humain jusqu’à sa fin. Mais il s’agit d’autre chose. Inlassablement, l’artiste, l’amant, essaye de saisir la vie qui reste, la vie qui s’enfuit, celle qu’il a aimée et aime encore jusqu’au bout. Au travers de son pinceau s’exprime tout l’amour qui l’habite. Et c’est comme s’il tentait de capturer encore et encore l’image pour retarder la fin. Au premier abord, nous voyons la dégradation, la souffrance, victimes d’un certain voyeurisme. Il s’agit en fait du don ultime, et si généreux, d’un homme à une femme.

Nous relisons ensuite différemment toute cette oeuvre, à l’aune de cette vie aimante. Et nous voyons bien que l’artiste ne cesse de se confronter avec ce monde qui l’intrigue et auquel il voue une grande affection. C’est de la curiosité bienveillante qu’il exprime envers nuages, rochers et montagnes, apaisés et tranquilles. Cela se perçoit particulièrement dans la série finale qu’il consacre au Lac Léman, dont il cherche à épuiser les nuances tout en nous faisant entrevoir que c’est une tâche impossible. Cela se sent également dans ses autoportraits, où il scrute son visage comme pour comprendre qui il est, surpris lui-même d’être là.

Même en admirant les peintres plus spectaculaires de ce tournant de siècle (ou peut-être grâce à eux ?), j’ai eu un vrai coup de coeur pour cette oeuvre.

FB

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