Cinéma – Paul Thomas ANDERSON : The Master

the master

Paul Thomas Anderson est un cinéaste américain atypique et fort doué. On lui doit notamment « Magnolia », sorte d’immense film choral en 1999 (il avait 29 ans…), ou plus récemment « There will be blood » (2007). C’est un réalisateur qui prend son temps (trois longs métrages depuis 2001) et qui aime l’ampleur.

« There will be blood » était un film crépusculaire et majestueux, prenant l’allure d’un affrontement entre deux hommes et leurs conceptions. Avec des acteurs impressionnants, Daniel Day Lewis, qui nous avait habitué à maintes performances étonnantes (gentilhomme anglais dans « Chambre avec vue », indien dans « Le dernier des Mohicans », artiste mutilé dans « My left foot »…) et Paul Dano, remarqué dans « Little miss Sunshine » en 2006 et qui se révèle vraiment là. Le face à face de deux géants sur fond d’Amérique éternelle, enracinée dans sa légende de conquête de l’Ouest.

« The master » repose également sur l’affrontement de deux hommes (et d’une femme, nous y reviendrons). D’un côté Joaquin Phoenix et de l’autre Philip Seymour Hoffmann, deux bêtes de scène s’il en est. Le réalisateur aime les acteurs qui se donnent dans toutes leurs possibilités, il les laisse d’ailleurs porter une grande partie du film, démarche très européenne mais pas si commune aux Etats-Unis. Pour autant, les acteurs sont dirigés et cadrés. Joaquin Phoenix a été accusé de cabotinage dans ce film, je ne suis pas d’accord. Il porte le rôle difficile d’un ancien marine qui au sortir de la deuxième guerre mondiale reste seul avec ses névroses et son alcoolisme. Ce n’est pas peu ! Ce personnage exacerbé ne peut donner lieu qu’à un jeu exacerbé lui aussi. L’acteur fait exister devant nous un être humain desaxé, tâtonnant à la recherche de quelque chose que nous ne saisissons pas, sa propre vie ?

Face à lui, un homme fantasque et fuyant, campé par Philip Seymour Hoffman, sorte de gourou illuminé, qui tisse avec le vétéran Freddie (Joaquin Phoenix) une relation pleine d’ambiguïté. Et avec le spectateur également. Dans la première partie du film (la plus intense et la plus réussie) nous balançons entre rejet et admiration devant cette personnalité hors du commun et hors des normes. Car nous sommes dans l’Amérique des années 50, nous la voyons exister au travers de fines reconstitutions faites de silhouettes féminines à l’allure reconnaissable, bibi, taille de guêpe et robes colorée ajustée, d’allusions à cette nouvelle société de consommation et d’abondance (voir les magnifiques scènes dans un grand magasin), par exemple. Mais nous sommes bien loin de l’image d’Epinal classique. Avec Lancaster Dodd (campé par PS Hoffmann), c’est comme un vent de liberté qui soufflerait sur l’Amérique, en avance sur le mouvement hippie. Vie en communauté autour d’un Maître, sans domicile fixe, qui fait sauter les barrières entres les différentes couches de la société.

A première vue, Lancaster Dodd semble prendre l’ascendant sur Freddie. Le fait que ce dernier ne porte qu’un prénom accentue cette idée de domination, il n’est qu’une demie personne, mise à mal par la guerre et par ses propres démons, à laquelle les autres s’adressent avec condescendance. Il devient un esclave du Maître, reconnaissant et obéissant malgré quelques éclats de colère impressionnants. Manipulé au prétexte de le rendre plus heureux (scènes parfois difficiles à supporter psychologiquement), il se plie à tout.

Et pourtant, de ces deux hommes, qui se rencontrent à un moment de leur vie, nous ne savons qui est le plus fragile. Lancaster Dodd se réfugie dans l’alcool pour tenir le choc de sa vie bizarre ; il construit avec Freddie une relation particulière de type sado-masochiste, qui l’enserre lui aussi.

Et surtout, nous ne savons pas ce que cette histoire serait devenue d’autre sans la présence de la femme de Dodd, Peggy, campée par Amy Adams, avec sa frimousse radieuse. Nous sommes bien loin de l’héroïne de « Il était une fois », où elle jouait une princesse pétrie de bonnes intentions chez Disney. Ici, elle se révèle impitoyable par rapport aux deux hommes, la plus dure et inflexible des trois. Saluons ici cette magnifique performance, presque à contre-emploi.

Enfin, dans le registre positif, notons également une mise en scène impeccable, doublée d’une photographie belle mais sans affèterie.

A côté de ces atouts incontestables (performance d’acteurs, histoire originale et très intense dans sa première partie), il faut cependant émettre plusieurs critiques. Si le film est envoûtant dans la première heure, il provoque ensuite des moments d’ennui et tourne parfois un peu à vide, à force de répéter sans cesse les contours de cette relation à deux (voire trois). De même Philip Seymour Hoffmann a été meilleur ailleurs (voir par exemple « 7h58 ce samedi-là » de Sidney Lumet) et se laisse aller parfois à la facilité.

Reste un film pas tout à fait réussi, mais fort recommandable, par son originalité discrète et ses face-à-face de personnages pas tout à fait comme les autres.

FB