Un film tout à fait particulier, réalisé par une femme. Je n’avais jamais vu de film saoudien avant, et pour cause, car il paraît que c’est l’un des premiers longs métrages de cette origine visibles en France. J’y suis allée, poussée par une curiosité pour ce pays lointain. Je n’ai pas été déçue. Se superposent, de mon point de vue deux films, une histoire avec intrigue et un documentaire sur la condition des femmes en prise avec une religion radicale.
Au premier plan, le joli récit d’un souhait d’adolescence, une jeune fille veut avoir un vélo pour faire la course avec un de ses amis. Mais comment faire, alors qu’elle n’a pas l’argent pour l’acheter et que son entourage s’y oppose au nom de la tradition qui veut qu’une femme ne fasse pas de vélo. Dans les rues poussiéreuses et chaudes de Riyad, le film suit le quotidien de cette jeune fille, qui va de la madrasa (école coranique) à son domicile et vit dans ces deux mondes clos, à part quelques escapades risquées dans la ville. L’amitié avec le jeune Abdallah, qui ouvre sur de vrais moments de liberté, les relations avec la mère, pour laquelle elle devient insensiblement un appui et avec son père, de plus en plus absent, forment la quasi-totalité de son univers relationnel. Dans ce film fluide, qui va son cours sereinement, la cinéaste nous raconte cette histoire faite de tous petits riens de la vie au jour le jour. Et nous nous attachons à cette jeune fille, Wadjda, qui essaye de vivre son rêve. C’est une rebelle. Sur de petites choses, porter des baskets à lacets violets et arriver sans foulard à l’école coranique. S’aventurer dans les rues avec son ami Abdallah. Rester dans la cour de l’école quand des hommes peuvent la voir. Il en faut peu pour déranger cette société corsetée, surtout quand on est une adolescente presque femme.
Cela m’amène au deuxième niveau de « lecture » du film, la vision de la condition féminine en Arabie Saoudite. Non que le film soit d’un militantisme primaire, au contraire. Au travers du récit, la cinéaste nous donne seulement à voir des femmes (mère, jeune fille, amie de la mère, professeurs – je n’emploierai pas la féminisation du mot car ce serait faire injure aux autres combats bien plus profonds que doit mener la gent féminine dans ces contrées…) dans leur vie de tous les jours. Et nous sommes stupéfaits, malgré ce que nous savons de ce pays et de ses traditions.
L’Arabie Saoudite est une monarchie de droit divin, branche islam sunnite et de type absolue. Vous comprendrez que nous sommes mal partis pour les femmes… Placées dès leur naissance sous l’autorité légale d’un « gardien » (un homme de leur famille), un certain nombre de gestes leur sont interdits sans son approbation ; par exemple, elles ne peuvent voyager sans son autorisation. Cette oeuvre illustre tout cela, sans emphase, au travers de notations quotidiennes, avec subtilité. Et c’est bouleversant.
Ainsi, Wadjda qui ne se retrouve pas dans l’arbre généalogique de la famille, et c’est normal, lui explique sa mère, puisque seuls les hommes peuvent y figurer. Ainsi, le repas où son père reçoit des amis à domicile et où sa femme et sa fille frappent à la porte fermée de la salle à manger et laissent les plats sur le sol à proximité avant de s’esquiver, puis de manger les restes ensuite. Ainsi, cette réunion réservée aux hommes, dans la cour à côté de leur domicile, où toutes les deux, mère et fille, sur la terrasse, se baissent pour ne pas être vues. Ainsi, le professeur qui réprimande les élèves entrant dans l’école et qui parlent fort au motif que des hommes pourraient les entendre. Ainsi, les tenues des femmes dans la rue, abaya et foulard sur le visage masquant même les yeux, qui ne laisse à voir que leurs mains ; les hommes sont en tenue claire, les femmes en noir, une symbolique limpide. Et ces chauffeurs masculins qui conduisent les femmes à leur travail et abusent de leurs situations, puisqu’elles ne peuvent pas conduire, mais pas non plus se déplacer seules dans la rue sur de trop longues distances. Et enfin cette femme, la mère, amoureuse de son mari, qui va la quitter sans acte juridique de divorce parce qu’elle ne peut pas avoir d’enfant mâle.
Tout cela tisse un univers kafkaïen, vu de moi, où les femmes se résignent, faute de mieux, à n’être que des moitiés d’elles-mêmes. Les hommes apparaissent à la fois dominants (puisqu’ils ont des espaces de liberté bien plus importants que ceux des femmes, conduire, voyager seul et à visage découvert) et très faibles, puisqu’il faut que les femmes se voilent entièrement pour qu’ils échappent à leurs instincts (j’ai entendu récemment qu’un imam recommandait que les petites filles se voilent à partir de l’âge de deux ans, pour ne pas exciter la concupiscence des hommes…). Dans les gestes de tous les jours, ce sont les femmes qui en font les frais et c’est difficile à supporter.
Certes, je ne veux pas stigmatiser ici la seule religion musulmane, puisque nous avons des équivalents fameux dans la religion chrétienne (voir le film « The Magdalene sisters », Peter Mullan, 2001) ou dans la religion juive (voir le film « Kadosh« , Amos Gitaï, 1999), les femmes étant toujours dépréciées comme source de pêché potentiel ou advenu et représentant par là-même un danger.
Nous touchons là à l’inconscient humain façonné par la religion, dans son côté le plus noir et dans sa plus mauvaise acception.
Merci à Haifaa Al Mansour de nous avoir donné ce film, qui restera dans ma mémoire (et d’ailleurs, je me demande comment elle a pu réussir à le filmer dans ce pays si intolérant à son sexe ?).
FB