MUSIQUE : Arturo Benedetti Michelangeli (1920-1995)

th (19)

« Être pianiste et musicien n’est pas une profession. C’est une philosophie, un style de vie qui ne peut se fonder ni sur les bonnes intentions ni sur le talent naturel. Il faut avoir avant tout un esprit de sacrifice inimaginable ». Voilà ce que disait Arturo Benedetti Michelangeli, pianiste italien du siècle dernier et qui résume bien la vision qu’il avait de son art.

J’aime beaucoup la musique, je ne suis pas une spécialiste, ayant à peine joué d’un instrument dans ma jeunesse. J’ai quand même envie d’écrire sur cet artiste, que je trouve extraordinaire, au sens premier du terme et très énigmatique.

Après un apprentissage du piano dès l’enfance, il remporte de prestigieux concours, devant des jurys où apparaissent Alfred Cortot ou Arthur Rubinstein. Il devient ensuite un pianiste soliste reconnu, même s’il a toute sa vie dédié un temps important à l’enseignement, ne se reconnaissant jamais comme un artiste à part entière. Pour l’anecdote, il a notamment été professeur de Martha Argerich et de Maurizio Pollini (excusez du peu !).

D’après ce que j’ai pu lire et les oeuvres que j’ai écoutées, voilà ce que je pourrai avancer comme traits particuliers de sa personnalité.

C’est un homme solitaire. Sauvage, protégeant sa vie privée et fuyant les interviews, il vit à l’écart (il se marie en 1943 et bien des personnes ne l’ont jamais su). Il donne des directives sur la manière de le filmer sur scène, comme s’il ne souhaitait pas être « espionné » (série de concerts filmés par la RAI dans les années 1960). C’est peut-être à cela que nous devons le peu d’enregistrements qui nous restent de son oeuvre. C’est également un perfectionniste, qui ne laisse rien au hasard. Il a annulé nombre de concerts (parfois en plein milieu) car le piano n’était pas au niveau. Il a finalement décidé d’apporter pour jouer en public son propre piano, qu’il savait monter et démonter lui-même. Il pratiquait dix heures par jour et disait à ses élèves qu’il ne fallait pas s’arrêter tant qu’ils n’avaient pas mal aux doigts et mains. Il répétait les morceaux inlassablement, jusqu’à l’exécution parfaite. C’est aussi un homme épris d’absolu. Qu’il trouve, au-dela de son art, en pilotant des voitures de course (propriétaire entre autres d’une Ferrari) ou en pratiquant le ski de vitesse. Cette dimension est également perceptible dans les propos cités en incipit.

Tout cela permet d’approcher un peu cet artiste étonnant. Quand nous écoutons ses interprétations, ce qui frappe d’abord est la perfection de l’exécution. Pas de fausse note, pas d’inégalité dans les temps. Tout est au cordeau. Et extrêmement brillant, avec un toucher d’une netteté impressionnante. Chaque note à la fois se détache et à la fois s’allie aux autres dans un mouvement qui paraît naturel, même si nous sentons tout le travail qui se cache derrière cette irréprochabilité. Nous ressentons l’amplitude et la maîtrise de la technique (Cortot avait parlé de lui comme d’un « nouveau Liszt ») et également l’étude minutieuse sur l’interprétation de l’oeuvre. Je ne voudrais pas laisser à penser, en effet, qu’il s’agit d’une musique mécanique, jouée parfaitement et sans âme. Arturo Benedetti Michelangeli réussit l’exploit d’allier perfection technique, grande élégance et sensibilité. Ce qui n’est pas évident. Porté par ses capacités impressionnantes, il trouve pour chaque morceau la subtilité nécessaire.

Il est paraît-il magnifique dans Ravel (« Gaspard de la nuit ») et Debussy, musiciens que je connais mal. Personnellement, j’adore son cinquième concerto pour piano de Beethoven (avec Giulini comme chef d’orchestre), ainsi que les autres concertos de Beethoven, le peu que j’ai pu entendre de Chopin par lui et les concertos de Mozart (pour lesquels ce n’est pas mon interprète favori).

Un grand homme, fascinant, qu’il ne faut pas oublier.

FB