Cinéma – Pablo BERGER : Blancanieves (2012)

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Encore une version de Blanche-Neige (1), la troisième en une année (si nous ne savions pas que les Frères Grimm sont morts dans la deuxième moitié du XIXe siècle, nous pourrions avoir l’impression d’une oeuvre qui vient de tomber dans le domaine public…). 😉

Ici, le réalisateur, espagnol, prend un parti original, celui de situer l’histoire dans l’Espagne des années 1920, semble t-il, et d’en faire un film muet dans la veine des grands réalisateurs du début du siècle dernier. Tout y est, cartons et intertitres, acteurs (sur)jouant les scènes à coup de mimiques et d’expressions que n’aurait pas reniés Gloria Swanson et musique en filigrane permanent.

Dans le cadre de cette architecture filmique, le réalisateur trace d’originales arabesques autour de la trame initiale. Les ingrédients de base sont là : la marâtre qui domine le père et asservit l’héroïne, le miroir, les nains, la pomme et le sommeil éternel. Tout est pourtant subtilement dévié. Blanche Neige est la fille d’un grand toréador, les miroirs de la marâtre sont autant de photographes et de couvertures de magazine, les nains sont une troupe de toréadors comiques et un doute plane sur le dénouement, pour ne citer que quelques éléments particuliers.

Le film est résolument « espagnol », nous donnant à voir tauromachie, sévillanes, plaines du sud du pays et leurs haciendas gigantesques, mantilles et messes de premières communiantes en blanc immaculé. La présence d’Angela Molina, actrice emblématique du cinéma hispanique s’il en est, renforce cet aspect.

L’image est magnifique, un noir et blanc très sophistiqué, comme si chaque scène devenait une photographie parfaite dans sa lumière unique, comme si le réalisateur avait travaillé plan après plan.

La mise en scène oscille entre fulgurances de beauté, jouant sur les matières et transparences, et lourdeurs appuyées. Le cinéaste recycle, avec bonheur souvent, les savoir-faire de ses aînés (on ne peut s’empêcher par exemple de penser au film de Tod Browning « Freaks » pour les nains et surtout la foire aux monstres), en ajoutant sa patte personnelle.

D’où vient alors cette impression d’ennui ? J’avancerai quelques éléments de réponse personnels à cette question. D’abord le manque de spontanéité. Comme cela m’avait frappée dans « The Artist » (Michel Hazanavicius, 2011), le fait de se couler dans un cadre fort contraignant (noir et blanc, références filmiques en permanence, conte de fées), ne peut que nuire à la fluidité de l’ensemble. Nous ne savons plus à certains moments si nous sommes en train de regarder simplement un film ou si, comme à distance, nous contemplons le même film en train de se faire. Cela donne ensuite une impression (sûrement fausse) d’un objet assez présomptueux, cherchant à égaler (voire à dépasser) des références incontestables. Ainsi, le film semble s’appesantir à certains moments, perdant tout charme et toute grâce au profit d’une interpellation appuyée à bien regarder la beauté de la scène (« L’ai je bien descendu ? » (2)). La magie des quelques moments merveilleux de cette oeuvre s’envolent aussitôt.

J’ajouterai que nous sommes là face à un décalage de point de vue, qui contribue à la gêne éprouvée. Lorsqu’un réalisateur, dans les années 1920, créait un film, même muet et en noir et blanc, il devait éprouver une impression de liberté sans pareille, par rapport à la technologie précédente, la photographie, qui figeait les images. Cela devait lui donner une inventivité ouverte sur le monde, dans la veine de ce progrès en marche qu’il pouvait ressentir. Ici, c’est le contraire. A une époque où le numérique permet tout ou à peu près dans un cinéma déjà ouvert à la couleur, aux effets spéciaux et au son, un cinéaste fait le choix délibéré de renoncer à ces différents aspects. C’est tout le poids de cette contrainte que nous ressentons dans ce film, malgré l’ingéniosité de l’auteur.

Et les acteurs, qu’en dire ? Difficile de les apprécier dans ce contexte. Ils font ce qui leur est demandé, ce qui est déjà bien…

Bref, je ne reverrai pas ce « Blanche Neige ».

FB

(1) « Blanche Neige » de Tarsem Singh (2012) et « Blanche Neige et le chasseur » de Rupert Sanders (2012) – Pour la dernière référence, voir critique sur le blog.
(2) Mot de Cécile Sorel, comédienne, au pied d’un escalier du Casino de Paris.