Cinéma : Peter JACKSON – Le Hobitt (2012)

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En prologue, quelques lignes de contexte

Je suis une immense fan de J.R.R. Tolkien (1892-1973), auteur du célébrissime « Seigneur des anneaux« . Grâce à mon frère (merci à lui !), j’ai découvert ce livre que j’ai lu près de dix fois et j’ai continué en dévorant à peu près tout ce qui a été publié du vivant de l’auteur ou après sa mort. Ce qui m’a impressionnée dans cette oeuvre, brouillonne et foisonnante, c’est que nous sommes plongés dans un monde à part, ce que nous comprenons ensuite, pauvres lecteurs submergés, en voyant que ces livres s’inscrivent dans un projet plus vaste, celui de doter l’Angleterre d’une mythologie digne de ce nom. Ainsi J.R.R. Tolkien, professeur d’anglais, spécialisé en anglais médiéval, linguiste (1) et philologue de génie, invente une langue elfique (vocabulaire et grammaire) et esquisse la même chose pour le monde des Nains. Il crée autour d’elles un monde, la « Terre du Milieu », avec ses trois Ages et leur chronologie, ajoutant à cela une description minutieuse des moeurs et coutumes des différentes races (Hommes, Nains, Elfes et Hobitts). C’est un univers intégral que cet auteur anglais construit petit à petit, pendant plusieurs décennies et c’est ce qui donne cette force à l’oeuvre. Il n’a d’ailleurs pas eu le temps de terminer, laissant nombre de brouillons et de notes que son fils a entrepris d’essayer de publier pour continuer le travail de son père.

Peter Jackson nous avait donné à voir entre 2001 et 2003, le film « Le Seigneur des anneaux », en trois parties, respectant en cela le découpage du livre. Soit un film fleuve de plus de neuf heures. Qui rend justice à l’oeuvre initiale. Le réalisateur a reconstitué avec une grande fidélité ce qui se passait au fil des pages, consacrant des années à la préparation du tournage, pour recréer fidèlement décors, costumes et personnages, s’appuyant notamment sur deux grands illustrateurs de Tolkien, John Howe et Alan Lee. Pour l’anecdote, lorsque je suis allée voir la trilogie, j’ai uniquement noté l’omission de deux scènes importantes vu de moi : la remise de cadeaux par Galadriel aux membres de la Communauté, dans l’opus II et la rencontre de Faramir et d’Eowyn dans l’opus III. Dans la version longue, les scènes avaient repris leur place. C’est donc avec un profond respect de la lettre et de l’esprit de l’oeuvre, que Peter Jackson la met en scène, de mon point de vue.

Le premier volet de la nouvelle trilogie que Peter Jackson consacre à « Bilbo, the Hobitt » vient de sortir sur les écrans et je suis, bien sûr allé le voir. Côté spectacle, rien à dire, tout est soigné, l’intrigue est rythmée et nous suivons de bout en bout ce film de 2 h 45 sans ennui. Elfes, araignées géantes, Nains, Magiciens et péripéties sont au rendez-vous. Pourtant, quelque chose m’a gênée et j’ai décidé de relire le Hobitt pour voir de quoi il s’agissait.

Réflexion faite, je pense que nous sommes ici devant un contresens par rapport au livre initial. Le réalisateur poursuit sur sa lancée la mécanique d’adaptation qui avait présidé à l’élaboration du « Seigneur des anneaux ». Mais les oeuvres sont bien différentes.

« Bilbo the hobitt » paraît en 1937, sur l’insistance d’une des anciennes étudiantes de J.R.R. Tolkien, alors qu’il n’avait au départ comme vocation que de distraire les enfants de l’auteur. « Le Seigneur des anneaux », oeuvre bien plus consistante (près de 1500 pages versus 350 pages pour « Bilbo the hobitt »), est achevé en 1948. Onze ans séparent les deux parutions et vu le contexte d’édition de la première, il est à peu près sûr que l’auteur n’envisageait pas encore la deuxième au moment de la parution de la première.

Premier problème, Peter Jackson dramatise ce film comme le précédent. Autant « Le Seigneur des anneaux » est une épopée où se joue la survie d’un monde, avec un crescendo qui nous mène jusqu’au drame, autant « Le Hobitt » est une aventure, un peu corsée, certes (Trolls, araignées géantes au rendez-vous), mais en aucun cas il ne préfigure l’oeuvre suivante. Pour mieux orienter le film vers le « Seigneur des anneaux » et son côté héroïque, le réalisateur introduit des personnages qui ne sont pas présents dans le livre, comme Galadriel, reine des Elfes, par exemple, qui livre une prophétie lourde de sens, orientant ainsi l’oeuvre vers le drame (comme si elle préfigurait l’extension du mal absolu, présent dans le second opus).

Deuxième divergence, le ton. « Le Hobitt » est un livre assez rude, un peu comme les contes de fée des Frères Grimm, mais il est aussi léger par moments. Or, l’humour  restitué par le réalisateur est identique dans les deux films, tout comme le rythme de narration. Pas de changement de style ni de ton.

Enfin, si « Le Seigneur des anneaux » nécessitait sûrement trois films de presque trois heures, le fait d’adapter ce format au « Hobitt » laisse perplexe. Pour soutenir le rythme, Peter Jackson est obligé d’étirer les batailles (celle avec les Gobelins, qui ressemble du coup un peu à un jeu vidéo), d’introduire de nouvelles péripéties (le magicien Radagast avec son équipage de lapins, qui essaye de sauver la compagnie, dans une course poursuite totalement inventée).

Je suis la première à comprendre l’intérêt de faire vivre et revivre encore cette oeuvre magnifique. Mais est-ce pertinent de la dénaturer, pour mettre tout sur le même plan, celui d’un format hollywoodien éprouvé ? Je signalerai à Peter Jackson qu’il reste une oeuvre cinématographiquement inexplorée et fort riche dans les écrits de J.R.R. Tolkien, « Le Silmarillion », qui gagnerait à des adaptations filmiques, dans lesquelles il pourra dramatiser à loisir. Nous aurions pu ainsi épargner le pauvre Hobitt enfantin.

FB

(1) J.R.R. Tolkien connaît notamment le norrois (langue scandinave médiévale), le vieux gallois, le finnois, le grec, le latin et l’allemand ancien.