Vous en avez assez de la froidure hivernale, vous êtes déprimés par le manque de lumière que même les féeries lumineuses de l’approche de Noël n’arrivent pas à dissiper, vous ne pouvez pas vous offrir un voyage dans les îles ? Si vous habitez Paris ou que vous pouvez vous y rendre, voilà une solution temporaire à votre humeur morose. Jusqu’au 7 janvier, courrez à la Comédie Française voir « Un Chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche. Plus de 2 heures de bonne humeur qui vous requinquerons, j’en suis persuadée.
L’argument de la pièce est assez faible, certes : un jeune homme sur le point de se marier cause un drame dans le bois de Vincennes, quand son cheval mange le chapeau de paille d’Italie d’une femme en train de baguenauder avec son cousin militaire à l’insu de son mari. De là découle une traque éperdue d’un chapeau similaire, menée par ce futur marié, suivi de près par l’ensemble de la noce, promise, cousin de la promise et surtout père de la promise, en tête. Comme dans la tragédie classique, nous avons là une unité de temps, puisque tout se passe la même journée. Mais le parallèle s’arrête là. Car nous sommes devant une comédie de boulevard, truffée de rebondissements approximatifs, voire invraisemblables, l’auteur semblant à certains moments se préoccuper comme d’une guigne du fil de l’intrigue au profit de quiproquos et autres pantalonnades.
Pour faire plaisir à certains milieux autorisés ( :-)), je pourrais dire que la pièce donne à voir la bourgeoisie du XIXe siècle, notamment dans la mésalliance que nous sentons entre ce jeune rentier et cette fille de pépiniériste. Et qu’en cela c’est un manifeste social où se fait jour une sourde lutte des classes entre nantis et travailleurs. Ce qui lui donnerait une vraie dimension politique. Et bien non, pas du tout, de mon point de vue ! Nous sommes là devant du pur divertissement que n’aurait pas renié la fort regrettée Jacqueline Maillan.
Et justement, tout le problème est là (surtout à la Comédie Française, habituée à des textes fort stylés ou érudits) : comment mettre en scène cette pochade un peu bancale ?
Le spectacle que j’ai vu a, de mon point de vue, résolu admirablement ce problème. Et j’ai découvert les acteurs de la CF dans des dimensions inhabituelles (que j’avais pu observer par pointillés dans certaines autres oeuvres, mais jamais avec cette complétude) : mime, danse, prouesses physiques diverses, avec un sens incroyable du « timing », comme diraient nos amis (?) anglo-saxons. Une petite formation musicale rock vient également avec bonheur ponctuer le spectacle et certaines répliques sont alors chantées (un petit axe d’amélioration à suggérer : nous ne comprenons pas tout). Tout cela insuffle une énergie survoltée à ce qui se passe devant nous.
Le parti-pris des costumes, très années 70, dont nous ne voyons pas forcément le but au premier abord, permet quand même de dériver assez facilement vers le grotesque (vous vous verriez aujourd’hui avec une veste amande, un pantalon bordeaux, des santiags et des rouflaquettes type Mink De Ville ?).
La mise en scène est assez sobre (enfin quelque chose de sobre !) laissant la place à la circulation effrénée des personnages, ce qui est déjà une prouesse en soi. Rideaux de plastique matérialisant des portes, quelques meubles, ré-arrangés entre deux scènes, pas d’esbroufe.
Ce sont les acteurs qui font tout le spectacle. Magnifiques, ils n’hésitent pas à forcer le trait du ridicule, jusqu’à nous faire rire à gorge déployée. Même si je les ai trouvés (comme d’habitude, merci la CF) tous excellents, je dois en distinguer deux, particulièrement fabuleux.
Tout d’abord Danièle Lebrun, qui, à son âge (que je tairais, j’ai quelques restes d’éducation), nous enchante en Baronne de Champigny. Belle et naturelle, drôle par essence, elle en remontrerait à bien des femmes.
Et surtout, une mention spéciale à Christian Hecq, que j’avais déjà vu dans « Le Jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux, l’an dernier. Il joue ici le père de la promise, et excelle en sens comique. Nanti dans la plupart des scènes d’un arbuste (sa myrte), qui lui permet des pantomimes impressionnantes, il finit par nous faire rire dès qu’il apparaît sur scène. Un formidable acteur que je remercie.
Si vous pouvez aller voir ce spectacle, ne vous privez pas
FB
Le trio infernal : la fiancée, son cousin et son père (malheureusement sans sa précieuse myrte) et puis la troupe au grand complet (avec la précieuse myrte)