Le nom de Magyd Cherfi ne vous dit peut-être rien, mais si je vous dis qu’il s’agit du chanteur du groupe « Zebda », cela vous parle sans doute davantage.
En 2004, pendant que le groupe fait une pause (il reviendra en 2011 avec un album « Second tour » que je vous recommande au passage), Magyd Cherfi publie deux livres, « Livret de famille » et « La trempe », dans lesquels il raconte son enfance, surtout, et d’autres moments de sa vie.
C’est une histoire simple, a priori banale, d’un enfant d’origine algérienne, né dans la banlieue nord de Toulouse. Endoctrinés par le discours dominant porté par les médias, nous nous attendons à un certain nombre de clichés, haine contre la France, absence de volonté de s’intégrer et démission citoyenne en premier lieu. Enfin, le témoignage d’un homme réel viendrait donner vie à tous ces reproches que nous adressons à ce collectif nébuleux et anonyme que nous nommons « les immigrés » (Ah, ce besoin de taxinomie qui nous démange !). Enfin un livre qui deviendrait une preuve de ce « on-dit » général, de cet insidieux discours, qui, tendant du fait divers isolé à l’universel, établit la responsabilité unique de « ceux-là » dans leur absence d’intégration à la société française.
« La Trempe » n’est pas de cette trempe-là, si je peux me permettre ce léger jeu de mot (pour alléger mon récit précédent ;-)).
Nous y découvrons simplement le parcours initiatique d’un enfant, puis adolescent, puis jeune homme, qui cherche à se construire en faisant le grand écart entre deux cultures. Né en France de parents algériens qui ne maîtrisent pas la langue (ni les codes) du pays d’accueil, il essaye avec ses frères et soeurs de surnager dans cette condition malaisée et nous livre le récit d’une intégration difficile à un monde différent. Ce qui nous arriverait par exemple, si nous étions obligés de tous nous réfugier en Chine… Vous vous imaginez à Canton, réfugié économique, sans argent, ne parlant que le français et quelques rudiments de chinois ? Comment survivre ? Comment aller à l’école et réussir ? C’est ce récit, transposé, que nous livre Magyd Cherfi dans ces deux livres.
Il décrit ici les avatars d’une famille modeste qui fait ce qu’elle peut pour vivre, à partir du contexte dans laquelle on l’a placée : une cité au nord de Toulouse, dans un appartement minable, sans maîtriser la langue et avec un revenu permettant juste de survivre dans ce pays d’abondance.
Et pourtant, que de vie positive dans cet écrit. Le personnage de la mère, magnifique et omniprésente, qui entretient avec ses enfants une relation proche et intime, presque étouffante. Qui veut leur réussite, qui a le coeur brisé lorsque son aîné est orienté vers un métier manuel… Cette mère sacrificielle qui aime trop ses enfants et les empêche.
Quant à la religion musulmane, qui fait tellement peur, comme une menace sourde et généralisée, l’auteur en donne sa version. Se définissant comme athée, il est tout en tolérance frondeuse par rapport à sa communauté (lire le beau chapitre « Vercingétorix »), pourfendant les excès religieux comme autant de faits insupportables. Une tolérance de bon aloi (voir en résonance la chanson « Le théorème du châle » sur le dernier album de Zebda « Second tour »).
Magyd Cherfi, dans une langue rude et sans concession, mais également tendre et charnelle, nous livre un récit magnifique, tout en angles et bosses, traversé de dignité et tolérance. Toutes ces dimensions, nous les retrouvons dans les textes de Zebda ; il nous livre ici quelques clés sur sa construction en tant qu’homme de bonne volonté et fidèle à ses valeurs.
A lire absolument
FB