Poussée par la curiosité, je suis allée ce week-end voir une exposition au Musée de la Marine, ce musée magnifique et déserté de la capitale. Elle avait pour sujet les phares et leur histoire.
La première salle est un enchantement : elle montre des lentilles de phare de toutes époques, qui girent sur elles-mêmes, projetant leur lumière sur les murs alentours. Que de beauté magique recèlent ces objets de verre, comme un carrousel de lueurs diffractées. Nous voilà à mi-chemin entre la science et le mystère sacré et c’est exactement ce que m’inspirent ces constructions fragiles et si fortes dont la solitude vient toucher la solitude du marin en mer pour le guider. J’aurais pu rester des heures à voir les lumières papillonner tout autour de moi.
Vient ensuite un parcours scientifique sur l’histoire des phares. Bien que novice en la matière, je me laisse emporter par le cours du récit qui mêle objets, photographies, films dans un circuit fluide et érudit. C’est tout un monde qui se dévoile. J’y apprend par exemple que le premier phare était français, le phare de Cordouan, construit en 1611 à l’estuaire de la Gironde (voir photo ci-dessous), que les Anglais ont construit ensuite nombre de phares, ce qui n’a rien d’étonnant quand on connaît leur géographie et leur appétence pour la mer. C’est un ingénieur anglais, John Smeaton, qui a construit le troisième phare d’Eddystone, au Sud de l’Angleterre, phare qui a modélisé la silhouette que nous connaissons aujourd’hui à l’édifice.
Les Français ne sont pas en reste : Augustin Fresnel (1), né au XVIIIe siècle, invente la lentille à échelon qui porte son nom et est encore à l’heure actuelle utilisée dans les phares. La France devient alors, par le biais de ses entreprises de construction et d’optique, la première exportatrice de phares dans le monde entier.
Les phares, tout en conservant leur architecture de base, prennent quelque chose de la personnalité du pays dans lesquels ils sont implantés. Ils deviennent ainsi des objets qui s’intègrent dans la culture ambiante (voir plus bas Maroc et Canada).
Ce sont des objets de rêve, surtout les phares de haute mer, battus par les vagues, qui font l’objet de maintes représentations picturales. Ces constructions du bout du monde, extrêmes, nous fascinent.
Enfin, nous n’échappons pas (et heureusement) à la représentation de la vie des gardiens de phare, qui ont peu à peu disparu au gré de l’automatisation des édifices. Une vie rude et solitaire faite de gestes techniques répétitifs et de veilles successives.
C’est une exposition bien dimensionnée, intéressante. A aller voir si vous le pouvez.
Je terminerai en citant deux « objets culturels » autour des phares :
– le film de Philippe Lioret « L’équipier » (2003) qui montre la vie quotidienne dans le phare de la Jument en Bretagne (avec Sandrine Bonnaire et Philippe Torreton)
– la chanson d’un chanteur uruguayen que j’aime beaucoup, Jorge Drexler, « Doce segundos de oscuridad » (2006), que je vous livre en entier en V.O.
Gira el haz de luz
para que se vea desde alta mar.
Yo buscaba el rumbo de regreso
sin quererlo encontrar.
Pie detrás de pie
iba tras el pulso de claridad
la noche cerrada, apenas se abría,
se volvía a cerrar.
Un faro quieto nada sería
guía, mientras no deje de girar
no es la luz lo que importa en verdad
son los 12 segundos de oscuridad.
Para que se vea desde alta mar…
De poco le sirve al navegante
que no sepa esperar.
Pie detrás de pie
no hay otra manera de caminar
la noche del Cabo
revelada en un inmenso radar.
Un faro para, sólo de día,
guía, mientras no deje de girar
no es la luz lo que importa en verdad
son los 12 segundos de oscuridad.
Ce n’est pas la lumière qui est importante en vérité, ce sont les douze secondes d’obscurité…
Ci-dessus,
Une lentille de phare ;
Phare de Cordouan, construit au début du XVIe siècle dans l’estuaire de la Gironde, plus vieux phare français ;
Phare de Bell Rock, construit par l’architecte Robert Stevenson au début du XIXe siècle à l’Est de l’estuaire de la Tay, premier phare en haute mer ;
Phare d’Eddystone, Sud de l’Angleterre ;
Phare d’Armen, au large de l’Ile de Sein (Bretagne) ;
Phare de Tanger, Maroc ;
Phare de la Martre, Gaspésie, Canada ;
(1) Encore un génie méconnu (de moi), mort à 39 ans en 1827, qui a révolutionné l’optique.