En incipit : le blog « Ruedeprovence » invite ses amis à écrire sur sa page ; en cela il se veut multi-culturel, construit par des personnes qui aiment la culture sous toute ses formes. En voici un exemple, avec l’article d’un ami cher, très grand amateur de musique, en particulier d’art lyrique. Merci Jean-Claude..
IL ETAIT UNE FOIS …… UNE LEGENDE
En cette fin juillet 1980 nous quittons Vienne sans y avoir, pour ma part ,rencontré ni Beethoven ni Schubert ,et moins encore Mozart pour ce qui est de leur esprit en tout cas.
Pourtant je m’y étais tellement préparé , j’en rêvais depuis le jour ou un de mes amis m’avait dit : «et si on allait à Vienne?….». Je n’avais pu m’empêcher de lui rétorquer «tu es sérieux ? Très sérieux!!! et puis Hilda y a des amis qu’elle n’a pas vu depuis longtemps …..me répondit – il » j’ai failli lui sauter au cou et l’embrasser de toutes mes forces …..Je ne le fis point ,car si pour un juif méditerranéen ce type de comportement irrépressible est normal, banal en somme, pour un français originaire du Nord de la France il en va tout autrement. Et puis j’ai horreur de choquer, au fond un introverti vaut bien un extraverti …..
Mais revenons à Vienne. En entrant au Sacher, ce vieux café viennois, (au XIXeme siècle), j’étais sur d’y rencontrer Beethoven, sublime ,impérial et…bougon, à une table et Schubert, tendre et effacé dans un petit coin bien à l’abri, ses petites lunettes rondes sur le bout du nez …..à une autre. Il faut savoir que Schubert qui avait une admiration sans borne pour son aîné n’osa jamais le rencontrer ni lui parler….. Tout les opposait : pour Beethoven, ses chefs d’œuvres sont la résultante de cahiers d’esquisses prolifiques qui s’étalent sur de nombreuses années alors que Schubert n’en avait aucun souvenir : ainsi, dans une demeure où l’on donnait une Schubertiade – une soirée où l’on jouait ses œuvres -, une jeune fille, à son pianoforte, interprétait une page musicale; Schubert s’en approcha et lui demanda : C’est très joli, de qui est-ce? Et celle-ci, qui connaissait Schubert, lui répondit, interloquée : Mais c’est de vous, Maître ! Cette anecdote, authentique si l’on en croit son ami Von Spaun, ne dit rien de la réponse de Schubert, mais renseigne sur la conscience qu’il pouvait avoir de son génie, et cela pourrait expliquer son extrême timidité devant Beethoven dont il n’ignorait rien du génie et du charisme.
Et oui nous quittons Vienne mais pour Vérone et ses arènes …..de combat à l’inverse des théâtres antiques comme Orange . Deux représentations nous attendaient:
Une Carmen et une Aïda opéra fétiche de Vérone si il en est….
Le souvenir de cette dernière me restera à jamais gravé dans la mémoire, ma rencontre avec Cesare Siepi chantant Ramfis. Et ce fut là, à mon grand désespoir, la seule occasion que j’eus de voir et d’entendre cette légende de la scène lyrique.
Mais, qu’est-ce que Vérone? Des arènes de combat, sans mur de réverbération renvoyant la voix,ce qui implique d’avoir,quand on s’y produit non seulement un organe(une voix) mais une ampleur, un volume conséquent, si l’on veut être entendu sans micro à l’époque ! et par 32.000 fous d’opéra ayant, pour beaucoup, une connaissance de l’œuvre et de ses interprétations qui laisserait pantois, jaloux peut-être, quelque uns de nos chefs d’orchestre… particulièrement «en cour» actuellement .
Une représentation à Vérone relève du rituel, du cérémonial païen, on va y adorer un dieu nommé Opéra et quelquefois certains officiants, dont Césare Siepi, l’un des plus grands et des plus révérés .
Qui était C. Siepi? Au cours de cette représentation, quand Ramfis apparut sur scène, les 32000 spectateurs se levèrent en silence et debout se mirent a applaudir de plus en plus fort,violemment, et nous lui fîmes «un standing ovation» de plus de 20 minutes …. Je pris mes jumelles et le vit stupéfait ne sachant quoi faire et regardant ses partenaires le saluer avec respect et admiration .Ce fut inoubliable d’autant que ce cérémonial accomplis il put chanter, enfin, et là ce fut le délire «veronesque». Nous nous levâmes et, jetant nos coussins en l’air, nous nous mimes à hurler ; cela dura de longues minutes pendant lesquelles nous honorâmes notre idole .
Mais encore …. Il est, à jamais, Don Giovanni, Philippe II, en excellence et tous les grands rôles de basses verdiennes. Je crois au génie de l’interprétation, il en est un unique de par sa voix de basse, sa tessiture ample et souple, et surtout sa couleur dramatique exceptionnelle. Il faut également mentionner une technique vocale et un sens de l’interprétation inoubliables ; l’entendre dans le monologue de Philippe II «Ella giammai m’amo» qu’il enregistra à 65 ans procure une émotion, un sens de la beauté uniques. C’est un interprète de génie tout simplement .
Vérone, c’est entrer dans les arènes à 19h30 et en sortir à ….. 2h30. On y mange des saucisses aux entractes, fort longs d’ailleurs mais indispensables, quand on sait la performance épuisante des chanteurs, et puis si un grand air est apprécié on l’applaudit quelque fois très longuement et tout s’arrête, le chef pose sa baguette sur son pupitre et attend, bien sagement, de pouvoir reprendre sa partition. Il n’y a rien d’autre à faire ! Sauf, quelquefois, bisser .
Et puis enfin il faut faire entrer et sortir 32000 personnes en toute sécurité ,sans angoisse ni panique .
Une fois sortis, tous les restaurants autour des arènes sont ouverts et nous reçoivent dans une ambiance festive, plus de table séparée seules d’immenses tables d’hôte nous attendent … et l’on se retrouve assis, attablés aux cotés de festivaliers, entamant de longues discussions, dans lesquelles la langue originelle de chacun n’a plus aucune importance, on chante, on mime, on se prend a parti, on se contredit, on s’invective à l’italienne : le pouce et l’index joints et le poignet très actif ; et si l’on y ajoute quelque charabia d’anglais et peu d’italien on se fait parfaitement comprendre enfin presque … cela demeure une expérience unique magnifiée par le temps.
JCB
Personnellement, j’adore Cesare Siepi, une des plus grandes basses que j’ai jamais écoutée. Un chanteur magnifique et inoubliable. Quelques photos et surtout des liens vers des interprétations à écouter absolument. In memoriam.
Duo avec Mirella Freni, Don Giovanni, Mozart : http://www.youtube.com/watch?v=v3mTHd9Yp3g
En Ramfis, dans Aïda de Verdi : http://www.youtube.com/watch?v=iAv5v_JRHDs
Et en Philippe II d’Espagne, dans Don Carlo de Verdi : http://www.youtube.com/watch?v=OVDuKkdR_Fs&feature=related