Cinémas – Buster KEATON : Les lois de l’hospitalité (1923)

Dans cette période très bizarre que nous traversons en Chine, cette transition en forme de virage à angle droit entre une politique de refus total de la pandémie et une résignation à faire avec, la levée de toutes les contraintes a vu le surgissement d’une vague de Covid-19 qui a enveloppé la capitale (pour mes amis cinéphiles, cela m’a fait furieusement penser au déferlement des armées du Roi des Morts sur la Cité de Gondor, dans le troisième opus du « Seigneur des Anneaux » par Peter Jackson). En moins de trois semaines, plus de la moitié des habitants de cette ville de 21 millions d’habitants sont tombés malades. Dont moi, juste pour Noël, pas de chance…

Maintenant que je sors de cet état comateux de la maladie et que je dois quand même faire encore attention, j’en ai profité pour voir/revoir des classiques, et je suis tombée à nouveau dans les films de Buster Keaton (un peu comme Obélix avec la potion magique, ces oeuvres laissent une nostalgie et une trace à jamais).

Buster Keaton (1895-1966) est un acteur et metteur en scène américain tout à fait particulier. Ses parents étaient des gens du spectacle et l’ont enrôlé très tôt (à 5 ans) dans leur show, où il a appris à faire de manière sécurisée (si l’on peut dire) toutes ces cascades qui habiteront ses films ensuite. Il est ainsi devenu un spécialiste du « slapstick », procédé qui consiste à exagérer la gestuelle pour lui donner plus de relief et son surnom « Buster » (en français « casse-cou », lui vient des cascades très risquées qu’il exécute dans ses films. Son agilité physique fait contrepoint à son visage le plus souvent impassible, ce qui ajoute à l’effet comique de l’ensemble.

Il fait partie de toute une génération de comédiens comiques qui florissent dans ce premier cinéma américain, puisque presque en même temps que lui vont débuter Harold Lloyd (en 1913), Charlie Chaplin (en 1914), les Marx Brothers (en 1925) et Laurel & Hardy (en 1927), pour ne citer que les plus connus. Lui-même entame sa carrière cinématographique en 1917.

Cette profusion d’acteurs comiques sur les écrans s’explique sûrement par le fait que nous sommes encore à l’ère du cinéma muet, et que le comique corporel ou de situation peut y prendre toute sa place.

Buster Keaton a produit une trentaine de longs métrages et bien plus de court métrages, il était souvent à la fois l’acteur principal et le metteur en scène (voire le producteur).

Parmi ceux-ci (que je n’ai pas tous vus, je vous rassure !), je voulais faire une mention particulière à « Our hospitality » (Les lois de l’hospitalité), tourné en 1923, qui est jusqu’ici un de mes préférés.

Nous sommes dans l’Ouest des Etats-Unis de la fin du XIXe siècle, deux familles, les Canfield et les Mac Kay, se vouent une haine ancestrale qui les amène les hommes des deux familles à s’entretuer les uns les autres au fil des générations. Après le meurtre de John Mac Kay, sa veuve envoie son fils nouveau né à New-York chez sa soeur, pour qu’elle prenne soin de lui.

Elle l’élève comme un gentilhomme, vêtements raffinés et monture dernier cri.

Il a fière allure sur sa draisienne

A la mort de sa mère, à l’âge de vingt ans, il repart dans l’Ouest pour régler les questions d’héritage et choisit de prendre le train. Là commence le premier volet du film.

Un train pas comme les autres

C’est là la première invention géniale du film, ce train approximatif (dans tous les sens du terme), qui ressemble furieusement à des diligences attachées entre elles, menées par une locomotive bien sommaire. Bousculés dans tous les sens par les cahots de la route, les bourgeois qui occupent les wagons semblent être en promenade. Ils sont d’ailleurs une attraction que les gens du coin viennent voir passer.

Le train de l’extrême

Et dans cette première partie, ce train de guingois, à la fois très moderne et tellement bricolé amène un feu d’artifice de gags qui fusent les uns après les autres, je ne vais pas les dévoiler, mais ils sont tellement drôles… J’ai déjà bien ri, devant tant d’ingéniosité et de poésie burlesque réunies.

Il nous emmène dans un trajet décalé qui prend son temps (un chien qui marche en queue du train va aussi vite que lui) et nous aimerions que la destination soit bien plus lointaine.

Qui a une manière bien à lui de franchir un tronc d’arbre

Allez, je vous raconte quand même un de mes préférés, pour ne pas vous laisser sur votre faim. Au passage du train, un homme se met à lancer des cailloux sur le machiniste, qui, furieux, riposte avec ce qu’il a sous la main, lançant sur l’homme les bûches qui servent à alimenter la chaudière de la locomotive. Lorsque le train est passé (la scène dure moins de 30 secondes), l’homme ravi, ramasse toute cette provision de bois, ce qui était son but.

Les lois de l’hospitalité

La deuxième partie commence quand l’héritier Mac Kay arrive dans sa ville d’origine. Au passage, il a fait la rencontre, dans le train, d’une jeune fille tout à fait comme il faut, qui l’a invitée à dîner dans sa famille.

Les deux jeunes gens, ils sont bien mignonsNotons qu’ils sont mari et femme dans la vraie vie

Or, le hasard (et l’écriture du scénario) faisant bien les choses, notre héros se retrouve dans la famille qu’il devait absolument éviter de fréquenter, les Canfield. Car cette charmante jeune fille est la fille du doyen de famille, elle est flanquée de deux frères bien nerveux et belliqueux.

Nous noterons la différence de taille, les ennemis ont l’air vraiment imposants…

Ce schéma où il incarne un homme qui rencontre la fille du pire ennemi de son père, nous le reverrons dans d’autres films de Buster Keaton, notamment l’excellent « Steamboat Bill Junior » (1928). Il est vrai que cela ouvre bien des possibilités dramatiques. Il existe d’ailleurs un parallèle entre ces deux films, au-delà de ce seul ressort filmique.

Revenons à notre propos. Ici, le titre du film va prendre toute sa signification. Car, si la dette de sang voue les hommes de ces deux familles à s’entretuer, les lois de l’hospitalité exigent d’un hôte qu’il respecte ses invités. Ainsi, tant que l’héritier Mac Kay se trouve dans la demeure des Canfield, rien ne peut lui arriver. Mais qu’il franchisse la porte et les revolvers sont immédiatement dégainés. Le héros va donc essayer par tous les moyens de ne pas quitter le logis, et lorsqu’il y est contraint, je vous laisse imaginer… Des scènes vives et hilarantes qui se succèdent les unes aux autres…

Notons que, lors de ce film, l’acteur a failli mourir, lors d’une cascade dans un fleuve de rapides : alors qu’il était retenu par une corde, cette dernière a lâché, le laissant lutter seul dans l’eau. L’équipe n’a pas cessé de filmer pendant ce temps. Il a réussi à se raccrocher à des branches sur la rive avant d’être emporté et a décidé que le reste des scènes seraient filmées en studio.

C’est un film totalement réjouissant, enlevé, subtil dans ses gags et ses péripéties. Cette figure de clown impassible, un peu toujours à côté de la plaque, mélange d’ingéniosité et de maladresse, mais avec une lucidité étonnante sur les gens et les choses reste pour moi une des figures les plus intéressantes du cinéma.

FB