Chine – Pandémie, trois nuances de bleu (2022)

La politique zéro-Covid, qui est une des lignes majeures de la politique chinoise depuis 2020, consiste à éradiquer le virus, ce qui est une différence majeure avec les politiques des pays occidentaux, qui cherchaient à protéger les personnes. Ici se fait jour un hiatus entre les deux approches. En Europe, les populations ont été confinées en 2020/2021 pour leur protection et aussi (surtout ?) pour éviter l’engorgement des ressources médicales. Des campagnes de vaccination, accompagnées parfois de très fortes incitations (le pass vaccinal en France) ont été mises en place, toujours dans l’idée de limiter les « dégâts » humains. Et maintenant, puisque le variant omicron est, certes, très contagieux mais globalement bénin pour la population, les mesures sanitaires ont été abandonnées petit à petit : exit les tests PCR et les masques.

En Chine, la question n’est pas là. Nous n’avions pas perçu cela au début, il s’agissait bien de protéger la population d’un virus mortel avec des mesures strictes de fermeture et quarantaines (n’oublions pas que ce pays a été le plus touché par l’épidémie de SRAS en 2002/2003, mauvais souvenir ici), quand tous les pays en étaient à confiner leurs populations pour faire face aux premiers variants (delta inclus) et à accélérer les campagnes de vaccination.

L’irruption du variant omicron a quelque peu changé la donne ; très contagieux mais produisant moins de cas graves, il a trouvé en face de lui des politiques inclusives en Europe, comme évoqué, mais en Chine, la ligne politique n’a pas changé. A savoir, des confinements de buildings, quartiers, villes, tout dépend. Accompagnés de campagnes massives de tests PCR. La notion de « cas contact » s’est peu à peu étendue, je vous en donne un exemple : pas loin de chez moi, une personne atteinte du Covid est allée dans un centre commercial qui s’étend sur 300 mètres, les habitants des appartements au-dessus (qui n’avaient aucun lien avec cette personne) ont été confinés pendant 14 jours. C’est un éclairage pour que vous compreniez ce qui s’est passé à Shanghai.

Ajoutez à cela que, comme la ligne politique veut éradiquer le Covid, tout responsable qui laisse la maladie se diffuser (cela commence à un seul cas) peut être limogé, vous comprendrez l’affolement local des maires/chefs de quartier/buildings. A Shanghai, plus de 3000 officiels (dont le maire) ont perdu leur poste, voire plus. Politique répressive qui retombe sur les populations locales et donne lieu à tous ces débordements largement commentés (depuis l’épisode Shanghai) dans la presse européenne. Mais qui ont commencé depuis bien plus longtemps dans d’autres endroits.

Car (c’est moi qui parle) nous sommes passés d’une gestion sanitaire à une gestion politique de cette « pandémie ». Je pense que, comme la Chine s’est faite la championne de l’éradication du virus en 2020, fustigeant notamment les Etats-Unis (la bête noire) avec leur million de morts, elle ne peut pas perdre la face ensuite. Or un récent rapport des autorités sanitaires chinoises a prédit que si le pays laissait faire le virus, cela causerait la mort d’un million et demi de personnes. C’est plus qu’aux Etats-Unis, donc ce n’est pas acceptable. D’où ces mesures incompréhensibles pour nous, qui mettent l’économie à genoux. Fermer Shanghai pendant deux mois, alors qu’elle représente 25% du PIB chinois, mettre en quasi-confinement Pékin pendant un mois…

Alors on continue, tests PCR à gogo et, quand un cas est détecté, traçage des personnes ayant fréquenté les mêmes endroits que le « pestiféré » et mise en quarantaine des coupables, voire des immeubles où ils vivent (une femme vient de se faire renvoyer de son travail car elle était positive, c’est presque pire que la peste). Quand on ne les envoie pas en quarantaine centralisée, dans un hôtel, sept jours minimum. Comme une épée de Damoclès qui vous rend le quotidien plus stressant : est-ce que je peux aller acheter des vêtements dans ce supermarché ? Oui mais s’il y a un cas détecté, je peux me retrouver confiné pour deux semaines… Prise de risque, c’est notre quotidien. Dans l’entreprise où je travaille, depuis le mois de janvier environ 40 personnes (sur 140 employés) ont fait l’expérience d’une quarantaine.

Venons-en maintenant, après cette mise en contexte, à une illustration personnelle, datée d’hier matin. Après avoir garé mon vélo près du bureau, je suis allée sacrifier sur l’autel de la santé collective, ou plutôt de la mobilité individuelle – soyons un peu égoïste – pour être capable de me mouvoir pour les trois jours à venir, puisque il faut actuellement un test de moins de 72 heures pour se déplacer dans la capitale. Et là, en faisant la queue, j’ai observé une subtile gradation des protections de nos gardiens/médecins/faiseurs de tests PCR (j’avoue ne plus savoir à qui j’ai à faire et comment les appeler).

Première étape : celui qui garde la queue

Il porte une combinaison bleue, nous ignorons pourquoi, mais cela lui donne un genre, quand même. C’est une sorte de reconnaissance sociale, il est celui-qui-porte-la-combinaison-bleue à l’entrée de la queue. Alors, selon son zèle, son niveau d’énergie, sa nouveauté dans le job, ou autre, je ne sais pas, c’est très mystérieux, il peut vous demander de scanner votre pass sanitaire (ou non) et de prendre votre température (ou non). Vous noterez la normalité de ses vêtements, même les lunettes sont les siennes, aucun dispositif anti-Covid19 ici.

Deuxième étape : celle qui vous enregistre

Je dis « celle », car ici c’était une femme, mais le job n’est pas unisexe. Nous sentons que le danger se rapproche, tout devient plus sérieux. On a mis une charlotte et des lunettes de protection (ici relevées, peut-être que le matin le virus est moins dangereux, qui sait ?). Et des gants ! Instrument nécessaire à la protection de cette pauvre travailleuse, peut-être exposée au virus, après tout nous en sommes à quelques milliers de cas pour 21 millions d’habitants, presque une pandémie en progression.

Je les gêne à chaque fois, ces travailleurs à la chaîne du Covid19, car il n’est pas possible de photographier ma carte d’identité comme pour les natifs, il faut tout épeler, mon nom, mon numéro de passeport, elle saisit tout avec une difficulté créée par les gants (essayez de frapper des lettres et chiffres sur un smartphone avec des gants de chirurgien, c’est tout de suite moins aisé).

Troisième étape : celle/celui qui vous fait le prélèvement

Maintenant tout devient plus dangereux, car la révélation de la maladie est proche… Et c’est cette personne qui est presque en contact avec ce rare virus qui va vous faire un prélèvement salivaire. Cela consiste à agiter quelques secondes un coton tige XXL dans votre bouche, l’efficacité du processus me laisse perplexe. Mais elle y croit, se désinfecte les mains entre chaque « patient » au gel hydroalcoolique, isolée dans sa cahute de sécurité, protégée par une combinaison intégrale blanche et bleue, une visière, un masque et des gants de protection qui forcent le respect.

J’ai ensuite enfourché de nouveau mon vélo, pour me rendre à mon bureau, avec trois jours de paix devant moi.

FB