Pékin – Musée national de Chine, exposition sur l’histoire de la cuisine (2022)

Dimanche, il faisait orageux, un temps bizarre qui cherche à nous surprendre, nous ne savons pas à quel moment le ciel va se faire méchant et vous déverser tous ses éclairs et sa pluie, tout matois qu’il est sous la couverture grise qu’il arbore. Je n’ai donc pas pris mon vélo pour aller faire une visite à ce musée réouvert depuis peu (et cela tombe bien, car les abords, hérissés de barrières et de gardes avec visières laissent peu de liberté à ce moyen de transport), j’ai opté pour le classique métro, où depuis une semaine ma carte de transport est couplée à mon pass sanitaire, pour vérifier à la fois qu’il est bien au vert et que j’ai un test PCR négatif de moins de 72 heures, magie de la technologie, menace du contrôle social.

J’aime beaucoup cet endroit, les oeuvres sont très belles et les expositions bien pédagogiques. Parmi la douzaine qui s’offraient à moi, j’ai opté pour une qui présentait l’histoire de la cuisine en Chine, sujet passionnant car je pense que les Chinois s’apparentent aux Français dans leur engouement pour le bien manger. La phrase « 你吃饭了吗 ? »(ni chi fan le ma ?), qui signifie littéralement « as-tu mangé ? » a ici aussi le sens de « est-ce que tu vas bien ? ». Toute une philosophie de vie.

Il faut savoir que l’alimentation, ici, est une préoccupation majeure pour la santé. La prévention des maladies, ici, est bien plus importante qu’en Occident, elle inclue le sport et la nourriture. Les aliments sont considérés sous l’angle des bénéfices sanitaires qu’ils portent en eux, alors que nous autres, Occidentaux, privilégions l’aspect gustatif. C’est une différence fondamentale qu’il faut garder en tête pour comprendre la cuisine chinoise et qui explique l’engouement pour des aliments qui nous paraissent improbables.

En incipit, sur le carton d’accueil, je note deux citations du Président, dont je vous livre la plus importante : « Sans les 5000 ans de civilisation, comment trouverions nous encore une spécificité chinoise ? Et sans la spécificité chinoise, comment trouver le chemin qui nous a mené aux succès d’aujourd’hui ? Nous devons porter une attention particulière à l’exploration de la magnifique tradition culturelle chinoise et porter plus loin cette culture, l’intégrer à la vision, la méthodologie et l’attitude marxistes et suivre résolument le chemin du socialisme à la chinoise » (traduit de l’anglais lui-même traduit du chinois, je ne garantis rien, mais le sens est là). Imaginez le Président français faire une telle introduction à une exposition et vous mesurerez (partiellement) la différence entre nos pays. Tout au long de mon parcours, j’ai eu droit à des emphases nationalistes de la même trempe (ce qui ne minore pas l’intérêt de ce que j’ai vu, c’est simplement un prisme à garder en tête).

L’exposition, thématique et chronologique à la fois, va m’entraîner à la découverte des choses que l’on mange, de la manière dont on les cuisine et des récipients dans lesquels on les consomme.

D’abord les céréales, le millet et le riz, dont les plus anciennes traces ont été découvertes en Chine vers 6500/6000 ans avant J.C pour le millet et 5000 ans avant J.C. pour le riz (l’exposition propose une date plus ancienne, faisant remonter la découverte à 10 000 ans avant J.C., j’ai des doutes, nécessité du croisement des sources). Nous découvrons également que le tofu, réalisé à base de soja, trouve son origine au début de notre ère.

Mortier et pilon 2500/2000 avant J.C.
Rouleau et pierre plate, 10 000 ans avant J.C.

Vient ensuite la section consacrée aux animaux (ami vegan, passe ce paragraphe, qui peut te heurter…). Dans la Chine ancienne existaient six espèces d’animaux domestiques, destinées aux travaux des champs, mais aussi à la nourriture, les vaches et boeufs, les moutons, les volailles, les cochons, les chevaux (plutôt utilisés pour le transport) et les chiens. Boeufs, cochons et moutons étaient également utilisés lors de sacrifices. Je ponctuerai mes propos érudits (de fraîche date) de ces très beaux objets qui illustraient l’exposition.

Vaches, époque Tang (618-907)

Le goût pour la viande de mouton est venu des tribus nomades du Nord et a gagné la Chine peu à peu, notamment sous la dynastie Tang. Aujourd’hui encore, c’est un met associé aux provinces du nord-ouest, comme le Xinjiang, dont les grillades de mouton, aromatisées de cumin et dégustées avec des pains de sésame sont un délice.

Moutons, époque des Han de l’Ouest (202 av JC- 8 ap JC)

Le porc reste quand même, avec le poulet, la viande la plus consommée dans le pays.

Porc, époque Han (202 av JC-220 ap JC)

Venons en à l’animal le plus controversé, vu depuis l’Europe, le chien. C’était un mets de premier choix dans l’Antiquité, la pratique de manger du chien a décru ensuite petit à petit à partir du début de notre ère. Je rappellerai ici ce que j’ai dit dans un des mes précédents articles, à savoir que la hiérarchie faite entre les animaux m’interpelle un peu : en quoi serait-il plus grave de manger du chien que de manger du boeuf ? Malgré tout ce que j’ai pu lire çà et là, je ne suis pas convaincue, si nous voulons défendre la vie de tous les animaux, pas de différence entre eux : un cochon vaut un moustique, un chien vaut un mouton, une guêpe ou une araignée valent un poisson. Je vous laisse méditer.

Chien, époque des Han de l’Ouest (202 av JC- 8 ap JC)
Volailles, Dynasties du Sud et du Nord (420-589)

Et bien sûr le voilà le poisson. J’aime beaucoup celui-ci, sobriété de la forme et entrelacs raffinés des écailles.

¨Poisson, époque des Han (202 av JC – 220 ap JC)

Les fruits et les légumes, qui sont actuellement une part très importante de l’alimentation en Chine, arrivent plus tardivement. Les fruits prennent très vite des dimensions symboliques. Ainsi la pomme représente la paix, est un cadeau de choix à la fin de l’année. Le melon et ses vrilles représente la fertilité et la croissance de la famille, la grenade, dans le même ordre d’idée, signifie une descendance nombreuse, le kumquat et le lychee sont des auspices de bonne fortune. Mais ils sont aussi des principes de santé, comme les légumes. Ainsi, on peut vous expliquer que la pastèque est un fruit froid et qu’il faut la manger en été pour refroidir le corps ; alors que la mandarine est un fruit chaud, qu’il faut manger en hiver pour se réchauffer.

Plats funéraires, ère Ming (1368-1644)

Et la pêche promet la longévité. Associée à la chauve-souris, elle signifie longévité et bonheur.

Plat avec pêches et chauve-souris, ère Qing (1644-1911)
Un petit rappel (culturel) de l’ambiance Covid19

La section suivante de l’exposition est consacrée aux différents ustensiles utilisés pour conserver, cuire, servir la nourriture, voire les boissons. Elle commence d’ailleurs par ces dernières, le vin de riz et le thé, qui sont des boissons ancestrales. Là également, elles sont conçues en référence à la santé : « le vin est audacieux comme un héros, le thé est solitaire comme un ermite », dit la sagesse populaire, le premier échauffe, le second refroidit, pour suivre la ligne développée plus haut.

Jue – vase traditionnel – en bronze, ère Shang (1600-1100 ans av JC)

La fermentation des fruits ou des céréales, dont le riz, est devenue « industrielle » en Chine à partir du XIIIe siècle, pour produire de l’alcool.

Au passage, j’ai adoré cette coupe en bronze, venue du fond des âges, avec sa ligne si pure. Noircie par le temps, elle est simplement belle.

Coupe, époque néolithique, 2500-2000 av JC

L’image ci-dessous m’a beaucoup amusée, on y voit des femmes ivres (c’est ce que dit le carton) à l’époque Han (2e siècle av JC – 2e siècle ap JC), enfin un soupçon d’égalité des sexes dans les temps anciens ! (Je ne vois pas pourquoi se saouler serait l’apanage des hommes).

Encore un objet magnifique, auquel ma photographie ne rend qu’à moitié hommage, une verseuse à vin en or, décorée de subtils motifs.

Aiguière – je préfère verseuse à vin – , ère Liao (916-1125)

L’alcool était souvent associé à la poésie, comme si la boisson stimulait la création. J’ai pensé à Socrate et à ses banquets, où le vin remplissait la même fonction libératrice. Finalement les sociétés, quelles que soient les routes différentes qu’elles empruntent dans leur développement, ont des points de contact, nous faisant sentir que nous sommes tous des humains (je lis en ce moment un excellent livre de science-fiction, « Le vieil homme et la guerre », empli d’aliens, ce qui irrigue ma réflexion. Mais je m’égare…).

Vase pour stocker le vin, ère Song (960-1279)

Beauté évidente d’une coupe ornée d’un bouc (dionysiaque ?), croisée au passage, tonalités de blanc et bleu que nous associons volontiers à l’époque Ming.

Coupe, ère Ming (1368-1644)

De bien belles coupes pimpantes, avec leur émail portant paysages et roses, bien gardées par leurs anses dragon. Accompagnées d’un vase à vin bien plus ancien, rutilance des ors travaillés sur fond vert du bronze vieilli.

Coupes en émail décoré, ère Qing -(1644-1914)
Vase à vin, ére des royaumes guerriers (475-221 av. JC)

Passons maintenant au thé (vous noterez l’ordre, comme si nous parlions d’abord du vin avant d’en venir au café… Ce qui est peut-être la bonne logique, après tout !). Son usage est avéré avant notre ère et la culture méthodique a commencé au IVe siècle après JC. Vivant à Pékin, je confirme que c’est une boisson qui accompagne le quotidien ici. Je modèrerai sur un point, les Chinois de Pékin boivent de l’eau chaude, aromatisée, soit de thé, soit d’autres plantes, ceci reposant toujours sur les principes de santé déjà énoncés ici. Le chrysanthème, l’hibiscus sont appréciés au même titre que les divers thé, le 花茶 (hua cha littéralement thé aux fleurs, pour nous thé au jasmin), 绿茶, lu cha, le thé vert ou 红茶 le thé noir (dit ici hong cha « thé rouge »). Tous les Chinois que je connais, ceux que je rencontre, par exemple dans les taxis, les points de contrôle du métro ou autre, ont avec eux une bouteille emplie de ces décoctions, qu’ils sirotent pendant la journée.

Le thé devient rapidement cérémonie, moment chaleureux où l’on prend un en-cas, entre soi ou avec d’autres.

Plateau à friandises, céladon, ère Jin (265-420 ap JC)
Plateau à thé en céladon, ère Tang (618-907)

Et cet étrange théière en bronze, imitant le canard jusque dans les plus infimes détails de ses plumes.

Ere Qing (1644-1914)

La dernière section de l’exposition nous montre de très beaux objets dédiés à la cuisine, dans ses différentes dimensions, préparation, cuisson et service. Dont les deux qui suivent, bronze et or et or et argent, de la vaisselle raffinée ornée d’animaux précieux, voire presque inconnus (le lion).

Plat avec lion, ère Tang (618-907)
Plat orné de grues, ère Liao (916-1125)

Et cette improbable aiguière à vin (oui je sais, c’est bizarre, car l’étymologie du mot « aiguière » est l’eau) en forme de melon et de démon/dragon, richement ornée, qui force le respect du haut de tout l’or qui l’accompagne.

Verseuse en forme de melon, ère Liao (916-1125)

Dans les si beaux objets rencontrés en chemin, je citerai également ces deux chefs d’oeuvre faits de jade, cette pierre si difficile à travailler (très résistante et friable à la fois), des coupes, l’une en forme de pèche et l’autre ornée de fleurs. Un étalage de beauté qui me rappelle pourquoi je suis contente d’être ici.

Ere Ming (1368-1644)
Ere Ming (1368-1644)

Je croise également un autre des fleurons de la Chine, la laque, qui prend ses racines dans les siècles d’avant notre ère, pour atteindre ce raffinement que l’on connaît. Par exemple cet objet étonnant, une « lunch box » comme nous dirions maintenant, faite de plusieurs compartiments pour cloisonner la nourriture et les différentes saveurs. Incroyable… J’en veux une !

Boîte à repas, ère Ming (1368-1644)

Ou ce service de table, enfermé dans une boîte laquée qui vaut à elle seule le détour. De couleur rouge, celle des meilleurs auspices ici, elle montre des ustensiles raffinés qui donnent envie de finir les plats pour voir les motifs cachés !

Service, ère Qing (1644-1914)

N’oublions pas la beauté de la porcelaine, cette invention chinoise, dont je vous livre ci-après un chef-d’oeuvre, avec tous ces motifs floraux qui parcourent sa surface de céladon.

Plat, ère Jin (1115-1234)

Et je terminerai par un clin d’oeil, car si tout ce que j’ai montré ici pourrait s’adapter à nos traditions occidentales, voici ce qui nous différencient vraiment dans les ustensiles : les baguettes !

Baguettes, ère Sui (581-618) J’adore la presque juxtaposition improbable de la main

Encore un moment hors du temps passé dans ce très beau musée. J’espère que je vous aurais emmenés avec moi au long de ce parcours.

FB