
La deuxième exposition que j’ai vue en décembre 2021 au Musée national des beaux-arts concernait un artiste né en 1931, a priori peu connu même en Chine, d’après les cartons introductifs (et par conséquent inconnu à l’extérieur du pays, je pense), XU Minghua. L’accent était mis sur son séjour en U.R.S.S. entre 1955 et 1960, où, après avoir été diplômé en art à l’Université de Nanjing en 1953 et avoir pris là-bas un poste d’enseignant, il s’est rendu pour étudier la peinture à Moscou et Saint-Petersbourg.

Dès le début, j’ai senti que quelque chose me gênait. Tout d’abord, ce peintre, assez discret, qui, à part son voyage dans le pays communiste frontalier, a mené une vie retirée dans sa province, sans exposition importante jusqu’ici, se voit gratifié d’une exposition dans le plus grand des musées des beaux-arts du pays, alors qu’il a 90 ans. S’il venait de mourir, nous aurions pu penser à une rétrospective pour lui rendre (un peu tardivement) hommage, mais ce n’est pas le cas. Ou alors, c’est un artiste que l’on vient de découvrir (il serait temps), mais cela paraît curieux, car il a déjà reçu un certain nombre de prix en Chine, donc nous sommes loin de parler d’un inconnu.
Et, en blogueuse consciencieuse, j’ai cherché des éléments pour compléter mon article, notamment sur les peintres russes qui ont enseigné à XU Minghua. Or deux d’entre eux n’étaient déjà plus de ce monde depuis longtemps, Sergeï Vinogradov (1869-1938) et Valentin Serov (1865-1911), quand notre artiste chinois s’est rendu en U.R.S.S. Seul Igor Veselkin était vivant, mais nous sommes en droit de nous demander s’ils se sont même croisés… Merveille de l’internet libre qui permet de faire des vérifications.
En cherchant le pourquoi du comment ou plutôt le mobile de cette « forfaiture », j’ai élaboré une hypothèse que je vous propose ici. Les relations entre la Chine et les U.S.A., notamment depuis l’accession à la Présidence de ce dernier pays de Joe Biden, sont plus qu’en froid et un rapprochement d’opportunité a commencé à s’opérer entre la Chine et la Russie, dans leur opposition commune aux Etats-Unis. Il m’es apparu assez logique de replacer cette exposition un peu étrange dans ce contexte, comme un compliment artistique très politique à l’égard du grand pays voisin.
Bien sûr, il y a dans ce que j’ai vu quelques citations de son séjour en Russie ; apparemment, sauf fonctions très avancées de Photoshop et autres logiciels, c’est bien lui sur les photos, entourés de Russes.


Quelques toiles exposées nous font penser à l’art soviétique, comme la célébration de moments glorieux (bien que nous les ayons revisité depuis dans un mode bien plus pessimiste).


Dès le portrait de marin présenté ci-dessus, nous voyons une liberté picturale qui s’évade de la contrainte de cette peinture presque officielle. La toile fait plutôt penser au style de l’Europe du XIXe siècle, avec comme une intimité qui n’est pas perceptible dans les précédentes. Cet homme regarde ailleurs, comme pensif, il est saisi dans un moment d’abandon et d’abstraction au monde, ce qui l’éloigne radicalement des sujets évoqués plus haut.
Et cette manière va se conforter dans les peintures suivantes, convoquant peintres anglais et Nabis dans leur manière douce de dépeindre des moments de temps suspendu. Notons également que c’est un peintre « d’esquisse », c’est à dire qu’il ne semble ne jamais finir ses toiles, ce qui leur donne ce mouvement de vie si particulier.
Plus rien de chinois dans les modèles, plutôt des Occidentaux (parfois Russes) qui trouveraient bien leur place chez Bonnard ou chez Whistler. Le peintre a eu des professeurs en Chine qui ont voyagé en Europe, ceci peut expliquer cela.


Les portraits sont très réussis, nos artistes occidentaux ne les auraient pas reniés.

C’est également un dessinateur qui excelle à saisir l’expression et les contours du corps dans leur réalisme.

Bref, une exposition bizarre, dont l’intérêt, au-delà de certaines oeuvres bien belles, réside dans le contexte douteux qui l’entoure.
Je ne saurais jamais si ce que j’ai vu ici a été peint par ce peintre ou même si ce peintre existe ? Mise en abyme vertigineuse qui peut nous interroger à notre rapport à l’art ; dans tous les cas, c’est la conclusion à laquelle je suis arrivée.
FB
Ses portraits sont excellents, jeunes filles, jeunes femmes, le marin. Merci pour ton reportage en forme d’enquête : plusieurs peintres, pour un seul nom ?
Peux-tu acquérir le catalogue, des cartes postales ?
Ici, la tendance est aux peintres femmes. Ainsi, on a bien oublié Rosa Bonheur, dont on pouvait voir une toile dans une rétrospective générale – comme l’exposition très réussie sur les » Femmes créatrices » à Rennes été 2019. Ou avec deux autres femmes peintres, dont Madeleine Lemaire, » autour de Proust », au Musée Marmottan, ( il faudrait que je retrouve le petit catalogue ). Et voilà qu’on s’intéresse à sa maison, à sa vie, et enfin à son oeuvre, car une rétrospective lui sera consacrée en 2022 au Musée d’Orsay.
Amicalement