
Loin de moi l’idée de faire une exégèse sur une oeuvre qui a déjà fait l’objet de tant d’ouvrages et d’articles, en tant que pionnier majeur des romans d’aventure.
Je voudrais juste ici essayer d’expliquer pourquoi ce livre paraît fascinant à mes yeux.
Tout d’abord il vous entraîne vers des ailleurs vierges sur lesquels ne se superpose pas notre géographie actuelle. Difficile par exemple de comparer la vie du héros au Brésil, dans sa plantation, avec ce que nous connaissons de ce pays à l’heure actuelle. Encore plus ardu est l’effort pour imaginer ces îles vierges peuplées de « sauvages » anthropophages, à l’écart des routes maritimes et inconnues. Maintenant que nous avons quadrillé nos mers et nos territoires, ces lieux à défricher ont désormais perdu leur mystère. L’aventure littéraire qui nous attend, née de ce décalage, n’en est que plus merveilleuse (au sens où elle nous fait découvrir l’inédit pour nous).
Ensuite, malgré la désespérance qui accompagne le destin de cet homme, l’exploration de l’île où nous l’accompagnons pas à pas est comme une chasse aux trésors enfantine. Cet épisode où il peut dépouiller le navire échoué qui l’a jeté à terre de choses utiles comme poudre, fusils, nourriture, vêtements et autres biens de nécessité est jouissif. Il y a quelque chose de l’ordre de l’inventaire des biens que l’on possède, qui, en nous appartenant, font rempart entre nous et le monde comme pour nous protéger. Nous comptons avec lui, retenant notre souffle, le nombre de mesures de riz, de chemises, de bouteilles d’alcool…
Enfin, c’est le livre d’une mort et d’une renaissance. Robinson Crusoé meurt peu à peu à l’univers qu’il connaissait pour basculer dans un univers où, démuni, perdu, il doit trouver les indices d’une autre existence, quelque chose qui le raccroche à la vie. Il met très rapidement en place des rituels issus de son ancien monde et il tente de le recréer avec une patience, infinie à l’aune de sa démunition de ressources. Faire une table, semer des céréales, tout cela lui prend du temps et beaucoup d’énergie (mais du temps il en a). Le suivre est passionnant, comme si nous étions dans les pas de quelqu’un qui (re-)crée un monde, il y a quelque chose de presque sacré, nous pensons à Adam pris dans la tourmente de la création de l’univers. Car au-delà du récit des victoires matérielles qui émaillent son récit, il va se faire une philosophie de vie autour de la religion chrétienne, qui va lui permettre de survivre. Deux registres qui se complètent et qu’il explore peu à peu.
Je voudrais, pour finir ce court (et dense !) article, mettre en lumière quelques éléments qui m’inciteraient à proposer l’interdiction de ce livre, au vu du contexte culturel actuel, car il fait offense à la bien-pensance qui s’est emparé de notre monde.
Tout d’abord, cela vous avait peut-être échappé, le bateau qui le transporte était en route pour l’Afrique, afin de faire collecte d’esclaves noirs. BOUH ! (finalement il a eu la punition qu’il méritait pourrions-nous dire).
Ensuite, la manière dont il traite le « sauvage » qu’il recueille est intolérable. Il lui donne le nom d’un jour de la semaine « Vendredi », montrant ici un mépris assumé, il se fait appeler « Maître », comme un colonialiste en graine, et, presque pire, il cherche à l’évangéliser de force.
Tout cela m’amène, pour respecter le nouvel ordre mis en place pour-ne-heurter-personne, à demander haut et fort le bannissement de cette oeuvre loin de nos bibliothèques !
Mais non, je plaisante !!!
FB