Comme nous le savons tous, la Chine a inventé un modèle hybride, communiste politiquement et libérale sur le plan économique. Cela nous a surpris longtemps car ce n’était pas notre manière de voir les choses, mais devant l’éclatement progressif et général des dogmes politiques et économiques, elle prend maintenant une place normale dans un monde où finalement les valeurs finissent par vaciller, s’entrechoquer, se mélanger jusqu’à ne plus laisser aucune ligne claire. Le magazine Forbes a noté en avril 2020 qu’un nombre record de milliardaires Chinois avait été inscrit sur sa liste, malgré la pandémie, 389 contre 324 en 2019 (avec à leur tête Jack Ma, le fondateur d’Ali Baba, dont la fortune avoisine les 40 milliards de dollars). Le P.I.B. a quant à lui augmenté de manière vertigineuse depuis 50 ans, avec des taux de croissance oscillant entre 6 et 8% depuis dix ans, dans ce qui pourrait presque être assimilé à un début de récession quand nous voyons les courbes précédentes. Même si cette richesse n’est pas partagée par tous, elle donne des moyens à une classe supérieure d’accéder à des biens de consommation nouveaux.
Ici acheter est devenu un passe-temps comparable à ce que nous voyons dans les pays occidentaux, où surgissent centres commerciaux et offres multiples incitant à dépenser. Je ne vous ferai pas de nouveau le couplet sur l’importance qu’a pris la consommation dans nos sociétés, je vous renvoie à un livre fondateur pour moi « La société de consommation », de Jean Baudrillard, écrit il y a cinquante ans et toujours tellement actuel.
Je voudrais ici me focaliser sur les habitudes chinoises pour essayer de décrire les différences et les similitudes avec ce que j’ai connu en France. Comme un reporter modeste qui constate les choses alentour, dans la vie quotidienne.
Tout d’abord, il existe en Chine un vrai fossé entre la population modeste et la population émergente sur le plan social ; bien que n’ayant pas beaucoup arpenté le pays jusqu’ici, je le sens même dans la capitale. D’un côté les classes populaires (nous sommes en Chine, pays communiste, je peux parler de classes !), de l’autre les classes plus riches, que je peux côtoyer au centre de la ville. C’est de ces dernières que je voudrais parler, n’ayant pas eu l’occasion de frayer avec les premières (barrière de la langue et de la géographie).
Comme partout, Pékin est envahi de malls immenses, certains dans lesquels vous pouvez passer la journée, shopping le matin, déjeuner dans un restaurant inclus dans l’espace commercial (western food, KFC en tête, suivi par McDonalds ou nourriture plus locales, chinoise bien sûr, mais également un engouement pour les Japonais, au travers de leurs restaurants et également de leurs boissons, comme le bubble tea, très apprécié des jeunes), re-shopping avant d’aller au cinéma… Ces gigantesques mondes, hyper-structures dédiées à l’achat (买东西 : acheter des choses), ont surgi à tous les endroits de la ville, abondance qui contraste avec bien des périodes révolues. Le froid de l’hiver vous pousse à rester dedans, comme « cooconé » dans ces espaces moelleux aux couleurs vives.
La plupart des magasins présents dans ces malls sont chinois, avec quand même, de çà de là des marques occidentales, très appréciées (et très chères), Gucci, Dior, Lancôme, Prada, L’Occitane (et oui et oui)… Les Chinois, cela ne vous aura pas échappé, adorent les marques, bien des femmes ici se promènent bardées d’un sac Vuitton (vrai ou faux ?) par exemple.
Tout cela est assez classique, me direz-vous, et vous aurez bien raison, je n’ai pas été dépaysée dans ces grands ensembles commerciaux que je connais déjà ; il existe aussi des marchés, dans lesquels marchander est la règle, comme nous les voyons un peu partout hors de l’Europe, je ne m’étendrai pas.
La spécificité ici est l’importance de l’achat en ligne. Nous connaissons le phénomène sous nos latitudes, il a pris de l’ampleur récemment avec la crise mais c’est ici un sport national. Les livreurs sont donc monnaie courante dans la rue, aussi indisciplinés vis-à-vis du code de la route que sous nos horizons, ils sillonnent la ville pour apporter toutes sortes de biens. Car vous pouvez tout acheter sur ces sites, depuis la vaisselle jusqu’à un aspirateur, en passant par papeterie, vêtements, meubles… Ce n’est pas nouveau, me direz-vous, certes, mais c’est l’utilisation intensive qui est ici étonnante. Il est par exemple très classique de commander son repas et je vois tous les jours devant mon immeuble de bureau une table dédiée aux livraisons, sur laquelle les 快递 (kuai di, un des mots les plus importants à apprendre ici – livreur ou livraison ) laissent leurs paquets.

Pour en revenir aux sites d’achat, il est sûr que nous sommes familiers avec eux, mais nous avons en France accès à des sites plutôt spécialisés, autour d’une marque par exemple. C’est Amazon qui se rapprocherait le plus de ceux que je voudrais évoquer ici, les Taobao, Meituan, Jingdong et autres, sans parvenir au côté complètement intégré qu’ils proposent. Tout d’abord, il est possible de (presque) tout acheter ici, les catégories classiques certes, mais également des bijoux ethniques, des parfums Serge Lutens, des crèmes Kiehl’s (bien que ce soit une marque américaine), de l’alimentation, plats préparés ou épicerie, des rendez-vous dans des spas, des restaurants ou des hôpitaux, chaque recherche donne le tournis…

Ensuite, ces sites ouvrent sur un certain nombre d’interfaces. Par exemple, vous cherchez où manger des nouilles au boeuf (牛肉面条), vous serez redirigé vers des restaurants, leur notation par les internautes, l’accès à la carte et aux prix, la localisation, la possibilité de réserver ou de commander…



Tout un monde dont vous explorez peu à peu l’immensité ; car certains sites peuvent vous proposer une location de taxi ou de vélo, espaces complètement clos et vertigineux.
Et enfin, vous pouvez bien sûr payer en ligne sur votre téléphone avec l’universelle application « WeChat », ce qui prouve qu’ici « tout est dans tout et réciproquement » (une des plus belles phrases philosophiques existantes).
Mais, me direz-vous (et vous aurez raison), n’y a t-il pas quelques ombres au tableau, dans cette description presque idyllique de l’intégration (verticale ou horizontale, je ne m’y retrouverai jamais) des achats ? Et bien oui, tout cela fonctionne bien pour les Chinois, mais pour un expatrié, c’est autre chose.
Il faut d’abord ouvrir un compte et le lier à son téléphone portable, pour ouvrir un compte « WeChat », bon ça on y arrive à peu près, pour peu que nous ayons tous les papiers nécessaires. Ensuite, plus compliqué, arriver à faire des transferts d’argent entre France et Chine, si vos sources de revenu sont en France ; et bien, cela s’avère presque impossible par les voies normales, oubliez le virement direct, je suis pour ma part passé par un système un peu compliqué, faire virer par ma banque de l’argent sur une carte sans frais (Revolut pour ne pas la citer) ; ensuite je peux retirer de l’argent au distributeur sur cette carte et je le crédite à nouveau sur mon compte chinois, pour alimenter mon compte « WeChat » et pouvoir payer partout (si vous n’avez pas suivi, postez un commentaire et je vous explique à nouveau !).
Car payer en argent liquide ici ne se fait presque plus. Il est tellement facile de scanner un Q/R code généré sur votre téléphone, pas de billets à compter, pas de monnaie à rendre. Parfois vous ne pourrez pas payer en pièces et billets, sachez-le.
Autre problème, pour naviguer sur ces sites, il ne vous aura pas échappé, intelligents que vous êtes, ô mes lecteurs, qu’il faut connaître la langue chinoise. Je commence à me familiariser, mais cela ne me permet pas encore de commander en étant à l’aise. Alors je triche, il existe une version internet (baopals) d’une des applications, qui me permet un accès à bien des choses.
A côté de ce coup de boutoir porté par internet, des magasins classiques subsistent et je voudrais vous entraîner dans une balade, au long du trajet que je fais tous les jours entre le bureau et mon logis. Allez, c’est parti !
FB







« Le P.I.B. a quant à lui augmenté de presque 130% en 60 ans » ? Je pense que c’est beaucoup plus.
Merci Aldor de cette lecture attentive. Voilà mes sources : https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=NY.GDP.MKTP.KD.ZG&codePays=CHN&codeTheme=2
Il y a manifestement une erreur méthodologique : la colonne « valeur » ne représente pas la valeur absolue du PIB (que sogifierait un PIB negatif ?) mais son taux d’évolution par rapport à l’année précédente.
Et c’est là que l’on voit que je suis une littéraire ! Merci de ta vigilance.
Merci de ce portrait.