Musique – Georg Friedrich Haendel : Ariodante (1735)

william christie

« Ariodante » est un opéra au long fleuve (entre trois et quatre heures) composé en 1735 par Georg Friedrich Haendel, compositeur anglais d’origine allemande (1685-1759), au moment où le Prince de Galles venait de créer un « Opéra de la noblesse » pour lui faire concurrence, qui avait de plus attiré vers lui les meilleurs chanteurs (dont le célèbre Farinelli). Donc Haendel se trouvait face à un véritable défi de notoriété, qu’il a remporté haut la main en produisant cette oeuvre magnifique.

Le livret est, certes, hautement improbable. Intrigues amoureuses et rivalités presque guerrières comme à l’accoutumée, mais situées ici en Ecosse (dont Ariodante est le Prince), induisant un décalage incongru entre le sud et le nord de l’Europe, disons les choses ainsi sans entrer dans le détail, vous déduirez vous même.

Ce à quoi nous avons assisté ce dimanche à la Philarmonie de Paris n’était pas la représentation de l’oeuvre mais bien mieux. C’était une leçon de musique donnée par William Christie, avec un orchestre en formation restreinte et les six solistes, avec lesquels il venait de donner un certain nombre de représentations au Staatsoper de Vienne.

Ce chef d’orchestre, qui fait partie de la génération des défricheurs de la musique baroque, à l’instar de John Eliot Gardiner ou de Sigiwald Kuijken (qui avoisinent tous les trois les 75/80 ans), a rendu à cette musique tout son lustre en la dépoussiérant des interprétations antérieures – quand elles existaient – qui étaient de mon point de vue compassées et lourdes, renvoyant cette musique gaie et légère à la gravité de Wagner et Puccini, par exemple.

Nous l’avons vu ici sur scène, cet homme plein de classe, nous expliquer l’opéra baroque, qui oscille entre liberté et limites. Liberté des chanteurs, qui peuvent orner leur partition de vocalises, s’immisçant dans le non écrit – car les indications pour les chanteurs existent depuis la fin du XVIIIe siècle, avant tout était improvisation à partir du moment où cela suivait la ligne instrumentale. Nous avons pu d’ailleurs juger de cet art des solistes vocaux baroques quand le chef leur a demandé d’interpréter le même morceau « platement », sans fioriture, et puis à leur façon ; et c’est extrêmement révélateur.

C’était un moment magique, où nous avons entendu des voix absolument splendides (Hila Fahima et Chen Reiss, soprano, Kate Lindsey, mezzo, Christophe Dumaux, contre-ténor, Rainer Trost, ténos et Wilhelm Schwinghammer, basse), de celles dont le maître sait s’entourer, assez belles pour vocaliser cette musique, mais assez humbles pour ne pas jouer les divas (1). William Christie a d’ailleurs lancé depuis plusieurs années (2009) un programme, « Le jardin des voix » pour détecter et accompagner de jeunes chanteurs de tous horizons.

L’orchestre, bien que réduit, était tellement au diapason avec William Christie, nous sentons qu’il a installé avec eux, depuis longtemps, une relation de confiance qui les met en osmose (il parle d’ailleurs du joueur de théorbe comme d’un nouveau venu, preuve que son orchestre le suit depuis des années). Ils se substitueraient presque à l’orchestre complet.

Et c’est ce que nous récoltons comme une mâne qui nous nourrit, toute cette énergie collective à essayer de sublimer cette musique et de la rendre compréhensible au plus grand nombre. Tout cela accompagné par l’humour (Anglais ? Normand ? nous ne savons plus) du maître des lieux.

Monsieur William Christie, chapeau bas !

Et en prime la prestation au Staatsoper citée plus haut.

FB

(1) Je viens d’écouter un des airs les plus remarquables de l’oeuvre « Scherza infida » par des interprètes telles que Cécilia Bartoli, Anne Sofie Von Otter, qui sont des artistes que j’apprécie par ailleurs, mais elles ne parviennent pas à me restituer l’émotion que j’ai eue ce jour-là.