Littératures – Sylvain TESSON : Dans les forêts de Sibérie (2011)

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre » (Blaise Pascal)

Cette maxime du grand philosophe français me paraît parfaitement appropriée à l’expérience à laquelle nous convie Sylvain Tesson, cet écrivain et aventurier français né en 1972, dont j’ai eu l’occasion de chroniquer sur ce blog un passionnant ouvrage, « Sur les chemins noirs ».

En 2010, à l’âge de trente-huit ans, il réalise un rêve qui le hante depuis longtemps, s’écarter du monde en s’installant pendant six mois dans une cabane près du lac Baïkal, en Russie, à l’écart de toute ville ou village. Il emporte avec lui outre les équipements et la nourriture nécessaires à cette vie, de la vodka, des cigares et surtout nombre de livres qui vont lui servir de compagnie tout au long de ce séjour particulier.

Arrivé en février, en plein hiver (il fait -30 à -35°C), il va tenir un journal quotidien de son expérience, qu’il nous livre ici. Il nous y conte la nature, les quelques rencontres avec des pêcheurs, des garde-chasse, des gens de passage et ses états d’âme.

Dire que ses descriptions de l’environnement sont magnifiques est une évidence ; nous avions déjà eu le plaisir de découvrir son style dans « Sur les chemins noirs », précision du vocabulaire, audace des images, beauté de la langue… Il est facile de se laisser porter par le flot des phrases qui nous emmènent de belle manière à la rencontre de cette nature que peu d’hommes connaissent.

« Je traverse des chaos de banquise. La neige a déposé une crème blanche au-dessus des tranches bleues. Je marche dans le gâteau d’un Dieu boréal. Parfois le soleil illumine la pointe des glaçons : des étoiles s’allument en plein jour. Sur les sections obsidionales, les craquelures courent dans la masse de verre selon un schéma récurrent, le dessin d’une arborescence à angles brisés. Les lignes de cassure se scindent à la manière des arbres généalogiques ou des tiges de certaines plantes. »

A la lecture de l’ouvrage, un autre intérêt se fait jour, celui de suivre ce Robinson Crusoé dans ses aventures avec comme un suspense qui s’installe dans cette histoire : quand les températures vont-elles remonter ? L’auteur va t-il rencontrer un ours ? Nous nous sommes déjà posé ce type de questions au fil du livre de Daniel Defoe, nous nous les posons encore ici, impatients de tourner les pages pour prendre connaissance des infimes variations quotidiennes de cette vie à l’écart, rythmée par presque rien.

Et enfin, et enfin (et surtout), ce qui fait la réelle profondeur de l’ouvrage sont les méditations qui le traversent, en un lent chemin de renoncement à ce qui fait notre monde moderne, ordinateur, téléphone, médias en tous genres, mais aussi à l’agitation qui en découle, l’aspiration à être toujours en compagnie, la difficulté à se réfugier dans la solitude. Bien loin de la peur qu’il avait de s’ennuyer, l’auteur retrouve ici la plénitude du temps qui passe, peuplé de petites choses qui deviennent des richesses infinies : le rendez-vous quotidien avec une mésange, la contemplation du lac qui change de physionomie au gré des jours, les moments de lecture, tout cela remplit son existence comme jamais. Nous voyons devant nous une vie qui se transforme, qui devient plus belle, comme délivrée de sa vacuité antérieure.

Et c’est magnifique.

Merci à Toan.

FB