Théâtre – George FEYDEAU : L’hôtel du libre échange (1894)

hotel libre echange

Georges Feydeau (1862-1921) est un dramaturge français à qui l’on doit des pièces de théâtre que nous pourrions classer dans le genre « Théâtre de boulevard »(1) . A l’instar de son aîné, Eugène Labiche (1815-1888) (2), il compose des vaudevilles, pièces légères qui mettent en scène des couples (mariés, en devenir ou recomposés) pris dans une intrigue où tout va très vite, les répliques fusent, les situations s’enchaînent et les portes claquent… Tout cela sur un fond de cynisme (et de machisme, soulignons-le dans ce moment particulier où les femmes se rebellent).

Ici, deux couples voisins, les Paillardin et les Pinglet (notez l’ironie du choix des patronymes 🙂 ), très amis en apparence, les deux maris travaillant sur le même projet immobilier et les femmes s’entendant bien. Sauf que, sauf que… Benoît Pinglet en a assez de son épouse et va saisir une occasion pour donner un rendez-vous galant à Marcelle, la femme de son ami Paillardin dans un hôtel louche. Va s’ensuivre une virevolte de chassés-croisés entre les différents protagonistes ; les deux couples Paillardin et Pinglet au premier plan, suivis par Mathieu et ses quatre filles, ami du couple Pinglet, et par Maxime, neveu philosophe de Paillardin dans son idylle avec Victoire, la femme de chambre des Pinglet. Tout ce petit monde va se retrouver dans cet hôtel borgne, lugubre et voué aux relations illicites entre hommes et femmes, tenu par Bastien et Boulot, les deux « garçons » soi-disant au service de la clientèle, chacun des protagonistes cherchant à esquiver les autres.

C’est une image assez désespérée des relations hommes/femmes que nous pouvons lire en filigrane dans cette oeuvre, des mariages de raison qui battent de l’aile, des dépucelages programmés et presque agressifs, des manipulations sourdes pour arriver à séduire la femme de l’autre. Le contexte est profondément pessimiste, un monde où chacun cherche à se jouer de l’autre. Avec comme grand manipulateur en chef Benoît Pinglet, qui parvient à duper sa femme et son meilleur ami.

Et pourtant l’on rit beaucoup, c’est enlevé et drôle (peut-être un peu long), porté par des acteurs exceptionnels, comme d’habitude, qui arrivent à vous faire passer les moments un peu faibles de la pièce.

Michel Vuillermoz incarne Benoît Pinglet ; il est extraordinaire, quel acteur !

Les autres sont magnifiques, comme d’habitude, insérant entre les lignes du texte des mimiques et des actions qui contribuent à rendre l’oeuvre plus excessive qu’elle n’est à la lecture. Car c’est bien ainsi qu’il faut jouer ce texte léger (même s’il nous dit beaucoup de choses sur les relations hommes/femmes de l’époque), avec emphase et force gestuelles.

La mise en scène d’Isabelle Nanty va dans ce sens, elle a construit des espaces où tous ces allers-retours peuvent se faire de manière fluide ; sans oublier la dimension un peu factice et hors du temps de l’oeuvre. Comme vous pouvez le voir dans l’image qui ouvre cet article, c’est vraiment réussi.

Enfin, une mention spéciale à Laurent Lafitte et ses chansons (excellent !) qui nous rappelle toutes ces chansons françaises des années 1900/1920 (et je vous ai mis un lien ci-dessous vers une d’entre elles).

Un très très bon moment.

FB

(1) En référence au Boulevard du Temple, à Paris, où se développe un théâtre bourgeois et populaire à partir de la fin du XVIIIe siècle, par opposition au théâtre classique.
(2) Auquel nous devons « Un chapeau de paille d’Italie » (1851) brillamment mis en scène à la Comédie Française il y a deux ou trois ans.