Cinémas – Eric JUDOR : Problemos (2017)

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Voilà un film rafraîchissant et réjouissant en ce printemps 2017, un peu foutraque à certains moments mais vraiment attachant (à l’image de cette saison à la belle lumière traversée d’averses subites).

Victor (Eric Judor), accompagne sa femme et sa fille dans une communauté de « zadistes », opposés à la création d’un « aqualand » sur les bords d’une rivière, où elle va rendre visite à son ancien professeur de yoga, Jean-Paul. Ils font connaissance avec ces originaux, qui cherchent à refuser la société et le système, qu’ils assimilent à « Babylone » (1). Au bout de quelques jours (ou semaines) de leur séjour, va intervenir un événement épiphanique, une pandémie chimique qui tue a priori tout le monde alentour (sauf eux). Ils vont se retrouver dans une situation inédite, qu’ils appelaient de leurs voeux, celle de reconstruire une société. Et cela ne va pas aller sans mal…

Je n’avais jamais vu de film d’Eric Judor, je dois l’avouer. Il se collette ici avec un sujet vraiment « casse-gueule », car permettant a priori tellement de facilités, touchant à la fois au social et au politique, et il s’en sort plutôt très bien.

Ainsi la galerie de portraits dressés ici ne devient pas jeu de massacre, car l’humour, bien que parfois assez noir, ne tourne jamais au grinçant et également parce qu’il n’épargne personne, même pas le protagoniste principal ; qu’Eric Judor accepte de ridiculiser le personnage qu’il interprète remet les choses en place. Plein de mots d’esprit et de situations cocasses (nous retiendrons sûrement le salut paume vers le haut, l’engueulade autour de « faut-il-ou-ne-faut-il-pas-faire-coucou-à-quelqu’un-qui-vous-fait-coucou ?, la scène sur la régulation naturelle des règles féminines, entre autres…), ce film potache fait mouche ; on pourrait lui rétorquer de ne pas voler très haut en termes d’humour, mais tout cela reste finalement bienveillant.

Et surtout, se glisse un point de vue critique et social, par petites touches, l’air de rien. Au-delà des premiers portraits rapidement (et brillamment) troussés, le film pose une question bien intéressante sur ces communautés dissidentes, qui se donnent pour objectif de refaire le monde : que se passe t-il lorsque la société contre laquelle ils s’érigent disparaît ? Nous sommes là presque dans un discours  philosophique, qui consiste à démêler jusqu’à quel point un mouvement d’opposition s’adosse – presque physiquement – à ce qu’il combat. Et à voir ce qui peut se passer si  l’objet du combat s’effondre littéralement ; que deviennent alors les convictions ? (2). Sans lourdeur, avec une certaine fantaisie, le metteur en scène va nous donner ici sa lecture de cet avènement, à l’échelle réduite de la communauté dont il est question, mais propos pouvant tendre à l’universel.

J’ai passé un très bon moment et je ne peux que recommander.

FB

(1) Ville antique d’Irak, devenue synonyme de mal et de persécution.
(2) Je pense que c’est quelque part ce type de phénomène qui s’est produit lors de l’ouverture des pays de l’Est après 1989 et qui a largement participé à la déroute globale ; certes, il y a eu un effondrement économique, mais ne sous-estimons pas l’effondrement idéologique : plus d’ennemi, ce n’est parfois pas simple pour se construire.