Arts plastiques – Sites éternels, de Bâmiyân à Palmyre (Grand Palais, 2016)

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Voilà une petite et fugitive exposition, conçue par Jean-Luc Martinez, Président Directeur Général du Louvre, qui s’est tenue en marge des grands événements de l’institution au même moment (si je ne m’abuse, peinture mexicaine et Hergé). Propos engagé, qui serait comme un cri d’alarme (voire d’effroi) devant les destructions advenues ou en devenir de certains des plus beaux joyaux de l’art humain, il prend tout son sens au moment où l’on débat de la notion de « Génocide culturel ». Car, comme le dit si justement Irina Bokova, Directrice Générale de l’UNESCO,

« Le patrimoine est plus que de magnifiques monuments et de belles pierres. Le patrimoine définit ce que nous sommes. Dans les diversités d’apparence et de culture, il embrasse les valeurs universelles de l’Humanité que nous partageons. Quand la culture d’un peuple est menacée, ce sont ces valeurs et ces droits fondamentaux qui sont visés. C’est l’identité d’un peuple, sa résilience que les attaquants veulent détruire. La protection du patrimoine est inséparable de la protection des vies humaines. Nous ne devons pas choisir entre les deux […] »

Je ne peux qu’être d’accord avec ces propos, étant depuis longtemps investie dans la culture, à titre professionnel et personnel, que je considère comme une ouverture, à la fois une médiation avec les autres, et un outil puissant pour comprendre qui nous sommes et d’où nous venons. Ayant par exemple fait beaucoup de latin dans mes études, je ne comprend pas pourquoi cette discipline disparaît peu à peu de la scolarité ; elle nous apporte pourtant tellement, nous aidant à comprendre les racines de notre histoire et surtout de notre langue. Savez-vous par exemple que le mot Nepos veut dire « petit-fils » mais également « dilapidateur », la langue traduisant ainsi un état de fait social, le père construit quelque chose, le fils l’administre et le petit-fils en profite. De même, contempler des peintures des siècles passés nous dit beaucoup sur la conception du monde au fil des époques. Je ne saisis pas non plus, dans le même ordre d’idée, pourquoi l’Histoire de l’Art est une discipline distincte de l’Histoire, l’Art n’étant que le produit de son époque. Ainsi, les arts du XIVe siècle en Europe ne peuvent se comprendre, à mon avis, si nous faisons abstraction de l’épidémie de peste noire, qui en un siècle, à partir de 1340, a fauché entre 20 et 50% de la populations européenne. Ainsi également, plus flagrant pour nous car inscrit dans notre histoire presque immédiate,  le désarroi des artistes allemands après la Première Guerre Mondiale ne peut s’appréhender pleinement qu’à la lueur de cette tragédie humaine, doublée pour cette nation du fait d’avoir perdu le combat (notons d’ailleurs que le même pessimisme ne se retrouve pas dans les arts français, à mon avis parce que la France était victorieuse et, ajoutons-le, qu’elle n’a pas subi la même crise économique). Le livre « Alexanderplatz », d’Alfred Döblin (1929) est à mon avis inintelligible sans ces repères historiques, de même que le triptyque « La guerre » d’Otto Dix (1929-1932).

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C’est cela pour moi le patrimoine, la capacité qui nous est donnée de pouvoir comprendre comment ceux qui nous ont précédé pensaient le monde et, par un effet de circularité qui nous ramène toujours à nous-mêmes 😉 de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons…

Revenons-en au sujet. Le commissaire de l’exposition a choisi de montrer quatre sites menacés, la cité de Palmyre, le Krack des Chevaliers et la Grande Mosquée des Omeyyades (2), tous trois en Syrie, ainsi que la cité de Khorsabad en Irak. Tous ces sites sont menacés par des faits de guerre actuellement. Ils nous sont restitués sous forme de vidéos grand format et assez spectaculaires, d’objets, de notes et photographies, tout cela en une forme assez courte.

En incipit, nous est montrée comme augure de ce que nous allons voir, une vidéo sur la destruction des Bouddhas de Bâmiyân, situés en Afghanistan, érigés entre 300 et 700 après J.C. et détruits en 2001 par les Talibans.

Pour nous éplorer davantage, j’ajoute la destruction des mausolées de Tombouctou en 2012 (3), dans le même ordre d’idée.

Et puis, Palmyre, « l’Oasis de Tadmor », en latin Palmyra, l’oasis des palmiers, connue depuis 2000 ans avant notre ère comme un endroit où les caravaniers faisaient halte. Sous l’Empereur Tibère, au 1er siècle après J.C. elle connaît une prospérité très importante jusqu’à devenir une ville très riche. Tombée dans les mains des Djihadistes de mai 2015 à mars 2016, elle a vu ses principaux monuments détruits (et notons que les Djihadistes ont repris la position depuis mi décembre 2016…).

Les trois autres sites sont pour le moment encore relativement à l’abri, mais se situent en zone de guerre ou d’instabilité.

Les destructions ou modifications de patrimoine sont choses courantes au fil des âges. Citons comme figure emblématique l’Aigle de Suger, conservé au Louvre et composé d’un vase en porphyre rouge d’époque romaine, auquel ont été adjoints au XIIe siècle des ornements en argent doré à la demande de l’Abbé Suger, à la tête de l’Abbaye royale de Saint-Denis de 1122 à 1151. C’était pour lui une manière de reconnaître la beauté de cet objet du passé que de l’inclure dans un objet encore plus précieux.

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Bien des statues de l’époque antique ont été modifiées, pour les embellir, à la Renaissance. Enfin, les églises sont de magnifique témoignages de cette évolution, somme toute assez dynamique, avec leurs cryptes médiévales, leurs envolées gothiques, leurs fresques Renaissance et leurs ajouts baroques voire néo-classiques/baroques. Nous ne pouvons rêver, dans un territoire fini, d’une extension ad libitum des constructions, qui  laisseraient en place l’existant des siècles passés pour bâtir à côté. C’est d’ailleurs ici que réside toute la difficulté de la conservation du patrimoine, du moins en Europe : classer un édifice en tant que patrimoine revient certes à le conserver, mais peut également freiner la vitalité artistique… C’est un équilibre précaire à trouver (4). S’explique ainsi notre très grande sensibilité à la sauvegarde et à la restauration de notre patrimoine, surtout en France, dirais-je (quand nous voyons comment Berlin a été modifiée dans les deux ou trois décennies qui viennent de s’écouler, c’est un vrai contraste).

Nous parlons ici, cependant, de tout à fait autre chose. Il s’agit de destructions méthodiques sous couvert de l’interprétation de textes religieux, mais qui font surtout penser à une détestation du monde, une envie de provoquer, un nihilisme qui n’ose pas dire son nom. Nous y sommes d’autant plus sensibles avec ce que j’ai dit ci-dessus. J’avoue moi-même avoir pleuré devant la vidéo des destructions du Musée de Mossoul, devant tant de barbarie inutile. Il faudra quand même s’interroger un jour sur les raisons qui poussent des personnes humaines à tant de violence, quel est leur désespoir pour en arriver là ? Mais ceci est une autre histoire, l’Etat d’urgence nous protège, donc tout va bien…

Le propos mesuré de l’exposition, qui vise juste à nous faire prendre conscience de cet état de fait, ne peut qu’être saluée et applaudie.

Merci pour ce moment d’éveil de conscience.

Terminons par une citation musicale en forme de requiem. Pour Palmyre, pour Bâmiyân, pour Tombouctou, pour toutes ces violences sans but.

FB

(1) A donné en français le mot Népotisme (tendance des Papes du XVIe siècle à accorder des faveurs à leur famille, et par extension, le fait d’accorder des privilèges à ceux que l’on connaît, lorsque l’on occupe une position importante)
(2) Dynastie de califes ayant dominé le monde musulman de 661 à 750 après J.C.
(3) Et notons que l’auteur des faits, Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi, a été condamné par la Cour pénale internationale à… 9 ans de prison en septembre 2016. Et tout le monde s’en réjouit ?
(4) En tant que Toulousaine d’origine, je me souviens que s’est fait jour à un moment l’idée de classer le centre ville. Et j’avoue avoir été contre… De cette ville petite et ramassée, cela aurait sonné le glas, la transformant en musée, là où il faut permettre aussi des respirations architecturales. Et là je suis sûre que je ne me suis pas fait des amis !