Théatre – August STRINDBERG : Père (1887)

August_Strindberg_(1899)_painted_by_Carl_Larsson

Après les événements de la semaine dernière, comme tous les autres Parisiens, j’ai décidé que j’allais continuer à sortir. Mais la distraction, sous forme de « Spectre » (1), par exemple ne me disait rien, j’avais envie de quelque chose de plus grave, en harmonie avec cette pesanteur qui s’est abattue sur nous.

Bien m’en a pris d’avoir réservé une place pour la Comédie Française ce dimanche. Car le Suédois August Strindberg (1849-1912), à l’instar d’Anton Tchekhov (écrivain russe) ou du Norvégien Henrik Ibsen a fondé au XIXe siècle un nouveau mode de tragédie parcourue par l’atmosphère glacée de ces contrées du Nord de l’Europe. De l’auteur, nous connaissons surtout « Mademoiselle Julie » (1888), qui voit l’affrontement amoureux déçu entre une jeune femme noble et son serviteur.

Ici, une histoire dans la même veine dramatique. Un capitaine et sa femme Laura vont se déchirer, comme seul un couple intime peut le faire, sur la question de savoir s’il faut envoyer leur fille Bertha en pension à la ville ou la garder dans leur maison. Ce huis-clos, à peine hanté par quelques personnages secondaires (le frère/beau-frère pasteur, la nourrice, Bertha) va conduire au drame, où seul un des protagonistes ne s’en sortira vivant.

Contemporain de Sigmund Freud (1856-1939), dont je ne sais s’il a suivi le parcours et lu les oeuvres, le dramaturge en reprend ici quelque chose. Car nous sommes là au coeur de la question des genres et des rangs familiaux. Les personnages ne cessent de se définir ainsi femme/homme, parent/enfant,   avec des confusion anciennes dont nous comprenons qu’elles ont fait déraillé la relation. Cet homme, capitaine d’armée, devrait être un archétype de l’homme viril, nous comprenons vite que c’est sa manière de résister à cet univers féminin, dans son logis qui héberge, outre son épouse et sa fille, sa nourrice et sa belle-mère. Isolé au milieu de ces femmes, il cherche sans arrêt ses marques, oscillant entre la fermeté la plus aiguë et l’abandon enfantin dans le giron de ses amies/ennemies, mélangeant femme et mère dans leur proximité. Toute la maisonnée est à l’avenant, ainsi sa nourrice qui « lui mettrait encore une bavette » et qui va être celle qui lui passe la camisole de force, gestes qui se répondent.

Ce qui va conduire la querelle jusqu’à un point de non-retour est la question de la paternité du Capitaine, savoir s’il est ou non le père de sa fille, et nous le comprenons aisément au vu de ce que j’ai dit plus haut. C’est la castration suprême : quoi, il aurait donc vécu parmi toutes ces femmes en pensant être le géniteur d’une d’entre elles et on lui refuserait même ce symbole de masculinité ? A partir de là, tout s’effondre et nous assistons à la déchéance de cet homme.

Les personnages d’August Strindberg sont inflexibles, poussant jusqu’au bout leur intégrité – et pour la femme du capitaine, nous sommes face à la frigidité, comme elle le dit elle-même. Prenant sa revanche, avec bien des repentirs, gestes de tendresse envers son mari, elle le conduit à sa fin, pour pouvoir survivre. Car, malgré les apparences, confort de vie, relations, nous sommes dans un espace glacé plein de violence, où chacun essaye de récupérer sa mise au milieu de ce monde hostile.

La mise en scène d’Arnaud Desplechin est sobre, soulignant les scènes d’une musique sourde au diapason du drame.

Mention à Michel Vuillermoz, le Capitaine, pour la fluidité et la force qu’il nous montre, et à Martine Chevallier, qui campe une nourrice tellement vraie. J’aurais préféré qu’Anne Kessler, par ailleurs excellente comédienne, soit moins « geignarde ».

C’est une oeuvre qui mérite d’être vue, pour tout ce qu’elle nous donne à penser sur les relations familiales.

FB

(1) Le dernier opus de James Bond.