Cinémas – Brad PEYTON : San Andreas (2015)

San Andreas 2

Pour me remettre de mes émotions « cartonesques », je me suis affalée devant ce que je pensais être un film catastrophe tout simple qui n’aurait pas donné lieu à une chronique sur ce blog. Mais voilà, au fur et à mesure que je regardais cet objet filmique assez particulier, je me suis dit qu’il fallait que je reprenne ici du service.

Evacuons tout de suite la question binaire, « s’agit-il d’un bon film ou non ? », à laquelle je ne saurais répondre simplement. Oui j’ai passé un bon moment, non le film n’est pas inoubliable… Ce qui m’en reste c’est ce que je vais vous en dire ici, car nous sommes face à un melting-pot de genres, mêlé à une quintessence d’images d’Epinal sur les Etats-Unis, qui finissent par tracer une image assez intéressante.

Passons rapidement sur le scénario, qui n’a que peu d’intérêt. Trois personnages principaux : un pilote d’hélicoptère, joué par Dwayne Johnson, ancien catcheur – avec lequel il ne faut pas rigoler – son ex-femme (la belle Carla Gugino (1)), qui s’est remise en couple avec un architecte riche et de renom, et leur fille adolescente. Sur ce drame familial va venir se plaquer une catastrophe d’envergure, des séismes de magnitude insoupçonnée, issus de la célèbre faille de San Andreas, qui vont rayer de la carte la majorité des villes de la région (y compris Los Angeles et San Francisco). Le film nous montre la course poursuite du héros pour récupérer d’abord sa femme, puis sa fille, sur fond d’apocalypse.

C’est d’abord un film catastrophe, dans la plus belle tradition du genre : héros musclé, impassible et intrépide, effets spéciaux à rallonge et formatés, scientifique qui-avait-prédit-la-chose-mais-qu’on-n’a-pas-écouté, scènes de panique collective, moments d’émotion quand le cinéaste zoome sur une situation individuelle (la jeune fille blessée après une chute en vélo et secourue par le héros au péril de sa vie, par exemple), musique à l’avenant. Mais nous sommes en 2015, produire un film de cette teneur est surprenant et nous en révèle beaucoup sur ce dont il ne parle pas. Rien qui s’apparente à l’actualité extérieure, Daech, le 11 septembre 2001 sont bien loin comme ennemis, ici nous nous retrouvons dans une figure classique de l’affrontement culture/nature interne qu’affectionnent particulièrement les Etats-Unis. Pionniers depuis l’origine, ils ont eu à lutter contre la nature, pour la dompter et conquérir leur existence, ce qui en fait ici leur ennemi numéro un. Ce n’est sûrement pas un hasard si la première scène spectaculaire concerne l’explosion d’un barrage qui rend à l’eau sa liberté… Et la zone d’impact est également intéressante à noter, le coeur de la richesse et de la renommée américaine ; car c’est ici le star system qui est touché en plein coeur (scène appuyée sur la chute de l’enseigne géante d’Hollywood) ainsi que le système nerveux de la technologie américaine, Silicon Valley. Nous sommes dans un épisode de ce combat a priori sans fin que les pionniers du XVIIIe siècle ont commencé à mener, qui revient sans cesse comme un schème lancinant dans la filmographie américaine. Anti-western qui ne veut pas dire son nom, c’est un film sans âge, dans la lignée de « La tour infernale », qui date quand même de 1972 !

Ajoutons à cela qu’il y a une évocation d’un fatum ontologique, comme une menace sourde de perdre son pays face à la résurgence des forces naturelles ; une image du destin fragile de l’homme mais aussi une punition d’avoir réduit la nature en esclavage (2).

La deuxième dimension du film découle de la première : nous sommes plongés dans des références américaines, à un niveau, ici, qui enferment le film dans un univers clos sur lui-même autour de poncifs tellement visibles. La « success story » est illustrée en négatif par l’architecte évoqué plus haut et en positif par Ben qui va passer un entretien de recrutement. Nous sommes aussi dans un « teenage movie » avec ces trois héros de moins de dix-huit ans, filmés à part (3), qui vont mettre en commun leurs forces pour s’en sortir. Mais attention, c’est un teenage movie tendance clean, pas d’alcool, ni de cigarette, pas de comportement déviant, tout le monde est bien aligné. Raccrochons à ce genre la réconciliation des parents, pour le plus grand bonheur de leur fille (il a fallu des tremblements de terre 9,1 sur l’échelle de Richter pour y arriver, bon d’accord, mais c’est réussi !). Les images du début du film, qui nous montrent une jeune fille au volant de sa voiture, smartphone à la main, ou la jeune héroïne en bikini au bord d’une piscine (que nous ne pourrions situer ailleurs qu’en Californie, allez savoir pourquoi !) sont également très emblématiques.

Il y a également du conte de fées ici, avec des idylles amoureuses idéales, des belles-mères et beaux-pères qui ne tiennent pas le coup, un gentil chevalier qui sauve la princesse…

Enfin, nous sommes dans un film moral, bien sous tous rapports. Le couple défait va se reconstituer (et nous verrons que le deuxième compagnon de la femme n’était qu’un lâche…) et reprendre sa vie avec leur fille.

Notons quand même quelque chose de fondamentalement dérangeant dans le film, la dimension individuelle et égoïste du sujet. Le héros utilise de l’équipement collectif pour ses finalités propres (hélicoptère), premier signe assez littéral qui illustre mon propos. Au-delà de ça, nous sommes face à une trajectoire individuelle, qui se moque de ce qui arrive aux autres ; les épisodes d’altruisme – rares – ne nous font pas oublier les hécatombes dont le héros se désintéresse. Aucun geste d’aide de sa part, sauf pour sa tribu.

Manichéen au premier abord, mais laissant voir plus qu’il ne le pense, ce film est à recommander si vous avez le recul nécessaire.

FB

Le couple refait devant un monde défait

Le couple refait devant un monde défait

De l'action, oui de l'action !

De l’action, oui de l’action !

Et voilà les protagonistes du teenage movie

Et voilà les protagonistes du teenage movie

(1) Remarquée dans « Judas kiss » de Sebastian Gutierrez, 1996.
(2) J’ai parlé de cette ambivalence dans la relation des Américains à la nature dans l’article que j’ai écrit sur le livre « The dog stars » de Peter Heller.
(3) Les parents ne les retrouveront qu’à la fin…