syndThéatres – Harold PINTER d’après Robin MAUGHAM : The servant (1948)

Tony, Barrett, Vera, Susan et Richard

Tony, Barrett, Vera, Susan et Richard

Que voilà un spectacle intéressant et prenant ! N’ayant pas vu le film de Joseph Losey, adapté de cette pièce (1), c’est avec un esprit vierge de toute comparaison que je suis allée dimanche au Théatre de poche Montparnasse, voir cette pièce anglaise (et je dirai anglaise jusqu’au bout des ongles…), qui mélange humour et noirceur dans une langue impeccable.

Le Théatre de poche est, comme son nom l’indique, un endroit minuscule et chaleureux, où vous êtes toujours près de la scène et des acteurs, ce qui vous plonge dans l’intimité même du spectacle : vous êtes dedans, vous en faites presque partie et vous vivez d’autant plus intensément l’intrigue qui s’y déroule.

Ici il est question de Tony, jeune homme anglais de la bonne société, qui, à son retour d’Afrique, s’installe à Londres dans une maison trouvée par un de ses amis, Richard, et engage un domestique, Barrett, aux recommandations plus que flatteuses. Va s’instaurer, sous les yeux de sa fiancée Vera et de Richard, une relation de pouvoir inversé, Barrett prenant peu à peu l’ascendant sur son maître…

C’est une pièce qui a pour centre Tony, un être qui se laisse influencer sans résistance. Car Barrett n’use pas de force ni de chantage, il est simplement tombé sur quelqu’un de faible qu’il assujettit à lui. Cela pourrait d’ailleurs être un exemple, avec des décennies d’avance, de ce que nous appelons aujourd’hui le harcèlement moral : un pervers qui, par petites touches, l’air de rien, mine peu à peu la personnalité de sa victime, tout cela sous des dehors irréprochables. Ainsi, lorsque Vera ou Richard s’emportent contre Barrett, ils n’ont finalement rien de tangible à lui reprocher ; comme cela se double pour Tony d’un syndrome de Stockholm (2), il le défend bec et ongles jusqu’à la fin. Et éloigne ainsi ses potentiels défenseurs…

Pour mieux rendre cette atmosphère étouffante, l’auteur installe ses personnages dans une seule pièce, le salon de l’appartement de Tony, où tout se passe. Le metteur en scène a délibérément placé l’intrigue dans son contexte d’origine, costumes, musique de jazz, tout nous ramène à l’Angleterre de l’après-guerre et c’est une bonne idée, car la pièce est très contextualisée (notamment par le nombre de « drinks » que les protagonistes avalent !).

Tout cela est porté par une troupe enthousiaste et juste, qui habite le texte avec bonheur ; je parle sciemment d’une troupe car nous sommes face à un collectif, au diapason qui prend du plaisir à jouer ensemble et cela se ressent.

J’ai vu la « soi-disant » dernière… 😦
Rassurez-vous, devant le succès du spectacle, il reprend à la rentrée 🙂 : n’hésitez pas !

FB

(1) Réalisé en 1963 avec Dirk Bogarde ; je vais m’empresser de le regarder…
(2) Le 23 août 1973, Jan Erik Olsson, tente de commettre un braquage à Stockholm. Lors de l’intervention des forces de l’ordre, il se retranche dans la banque où il prend en otage quatre employés. Six jours de négociation aboutissent finalement à la libération des otages. Curieusement, ceux-ci s’interposeront entre leurs ravisseurs et les forces de l’ordre. Par la suite, ils refuseront de témoigner à charge, contribueront à leur défense et iront leur rendre visite en prison. Une relation amoureuse se développa même entre Jan Erik Olsson et Kristin, l’une des otages. C’est de là qu’est née l’expression « Syndrome de Stockholm » pour décrire un mécanisme de survie qui consiste à se mettre en empathie avec son bourreau.