Voilà un livre féministe impudent, plein de rage et de souffle, pamphlet écrit par la « sulfureuse » Virginie Despentes, qui publie en ce moment une excellente trilogie « Vernon Subutex » (voir article sur ce blog).
« J’écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal-baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Parce que l’idéal de la femme blanche séduisante qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, je crois bien qu’il n’existe pas. »
La quatrième de couverture de l’édition en Livre de Poche donne le ton, le livre ne va pas être politiquement correct ni bien-pensant (1), penchant plutôt vers le brûlot, le pavé dans la mare, de ceux qui agitent la boue pour nous montrer ce qu’il y a au fond.
Car c’est un essai mêlé de biographie plus profond qu’il n’y paraît, lumineux et percutant. S’appuyant sur ses propres expériences que nous qualifierions de border-line, prostitution, viol et fascination pour les actrices de pornographie, l’auteur, loin de rester dans un féminisme installé (comme nous pourrions dire de quelqu’un qu’il est installé parce qu’inscrit dans la société à laquelle il appartient), bouscule le cadre, rejette les limites dans lesquelles ce mouvement tend à se contraindre pour penser autrement la Femme et la féminité.
S’appuyant sur les écrits (non traduits en France) de féministes américaines, elle nous emmène dans les bordures, vers des lisières où nos préjugés (car nous comprenons combien nous sommes corsetés et formatés) s’effacent. C’est un livre intelligent, qui nous fait mieux comprendre le monde et nous donne à penser, ce qui est énorme…
Transcendant les codes en s’approchant de l’autre, des autres, elle nous les livre comme humains, débarrassés de leur genre encombrant – ou plutôt des stéréotypes de genre. Ils apparaissent dans toutes leurs failles, comme elle se met également en pâture du lecteur, sans fard. « Droit(e) dans ses bottes », comme dirait un de nos chers ministres du passé (2), elle nous raconte son chemin heurté à la recherche de son identité de femme, qu’elle a peut-être fini par trouver au travers de ses différentes expériences. Et extrapolant du particulier à l’universel, elle nous donne à lire et à méditer sa théorie personnelle, vraiment excitante pour les méninges.
A la fin de cet ouvrage combattant, elle nous livre, en forme d’au-revoir, sa définition du Féminisme :
« Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l’échangisme, il n’est pas seulement question d’améliorer les salaires d’appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. Sur ce, salut les filles, et meilleure route… »
En forme de zeugma, je ne peux que vous souhaiter la même chose et de lire ce livre !
Et je rajouterai, même si cela fait lieu commun, qu’à notre époque, quand on voit comment certaines religions s’attaquent aux femmes (en détruisant les hommes au passage), cette lecture prend toute son importance.
FB
(1) Les deux fléaux de notre époque, d’après moi.
(2) Alain Juppé, Premier Ministre, lors de la grève de l’hiver 1995 à propos de la réforme des retraites.