Voilà un film marquant, d’un jeune réalisateur américain de 29 ans, dont c’est le deuxième opus. En aparté, je dirais que c’est merveilleux de voir le niveau de maîtrise et l’originalité de certains jeunes réalisateurs, Lucie Borteleau, pour ma chronique précédente, ou Damien Chazelle aujourd’hui. Refusant de sacrifier aux idoles cinématographiques actuelles, ils inventent de nouvelles figures ancrées dans toute l’histoire de leurs prédécesseurs et c’est vraiment intéressant.
Ici, nous suivons le face à face entre Andrew, apprenti batteur de jazz à la prestigieuse Shaffer School of Music et son professeur, Terence Fletcher. Ce dernier, qui cherche un nouveau Charlie Parker – et qui ne se lasse pas de raconter l’anecdote selon laquelle son professeur aurait envoyé à celui-ci une cymbale, manquant de le décapiter, ce qui l’aurait stimulé jusqu’à ce qu’il devienne un des meilleurs musiciens de toutes les époques – va mettre à rude épreuve son jeune élève.
Ce film offre la particularité d’être simultanément foisonnant et très resserré, un peu à l’instar de ces peintures religieuses des XVIIe ou XVIIIe siècle, où fourmillent maints personnages mais où les lignes de force ramènent toujours l’oeil en un point unique.
Dans un New-York d’aujourd’hui, qui se laisse à peine voir (nous pourrions presque être ailleurs et à une autre époque), espace urbain neutre, l’auteur installe une vraie atmosphère à coup de cadrages resserrés autour des visages, des corps et des instruments de musique. Se dégage ainsi du film une force qui fait écho à la vitalité de ce jazz/swing aux pulsions emplies d’énergie ontologique.
Car la musique ici n’est pas de celle qui « adoucit les moeurs », elle est pétrie de sueur, de larmes et de sang, virtuosité acquise à force de corps maltraité et de souffrance psychique parfois difficilement soutenable. Pour réussir et plaire à son professeur, Andrew est prêt à tous les sacrifices, sa vie amoureuse, sa santé physique mais aussi son équilibre mental. Nous assistons à un détournement d’un genre très prisé actuellement, la success story, qui perd ici tout côté lénifiant ou gratifiant pour devenir une lutte sans merci. Certes, Andrew trouvera sa voie, mais à quel prix… Le titre « Whiplash » prend ici une double signification d’après moi. C’est d’abord le morceau de musique interprété par les élèves de Fletcher. C’est également, en traduction littérale un « coup de fouet », tels que tous ceux qui traversent en fulgurance le film, infligeant autant de blessures à Andrew mais également à Fletcher.
Ce duel à vif est incarné magistralement par deux comédiens qui crèvent l’écran. J.K. Simmons, tout d’abord (remarqué notamment dans la trilogie « Spiderman » où il incarne le rédacteur en chef du journal où travaille Peter Parker), à la présence physique impressionnante, croisement entre un danseur (il a été acteur et chanteur à Broadway) et un sergent de l’armée, glaçant dans sa volonté d’atteindre un idéal quitte à tout briser autour de lui. Et ensuite, Miles Teller, qui compose le personnage d’Andrew avec une grande finesse, faisant ressentir tous les états d’âme de ce jeune homme à la fois perdu et volontaire (1)
C’est un film dérangeant, d’une maturité et d’une force telles qu’il reste en tête longtemps. Je ne peux que le recommander très vivement.
FB
(1) Cet acteur jouait dans « Divergente » et est annoncé dans « Divergente 2 », dans « Les quatre fantastiques 3 » ainsi que dans diverses comédies romantiques ; espérons qu’il ne fourvoiera pas complètement son talent.
Et pour terminer, une vidéo de Buddy Rich, idole d’Andrew, batteur hors pair, dans « Birdland »
Très bon article, pas mieux sur mon blog ! 😉
La bande son pour sûr fait plus que les contours du film et me souviens que je voulais dire volontiers à quelqu’un que la musique ce n’est pas uniquement des histoires de compétitions et de sport, il y a certes l’engagement physique (là en plus c’est de la batterie !) mais cela m’avait gêné de monter cela de la musique, l’aspect peine-physique, des ampoules qui saignent – les batteurs ne s’exercent pas à s’en faire saigner les mains, le reste du film j’ai oublié, il me faudrait alors le revoir (me souviens y avoir entendu Stan Getz). Et cette musique là précisément ce n’est pas uniquement des soucis de tempo le plus rapide, les très bon batteurs ne sont pas des machines à pulsation la plus rapide mais des musiciens qui savent placer les accents…
C’est tout à fait juste, n’étant pas moi-même musicienne, j’avoue que cette partie aussi m’a intéressée, mais c’est un prétexte à montrer la lutte entre deux hommes de niveau inégal, qui m’a fascinée ici.
Merci pour ce commentaire qui me permet de remettre les choses à leur juste place.