Théatre – Ivan GONTCHAROV : Oblomov (Comédie Française, juin 2013)

Oblomov, debout, puis couché, toujours sur le même sofa...

Oblomov, debout, puis couché, toujours sur le même sofa…

Oblomov de Gontcharov

Connaissez-vous l’Omoblovisme ? Nommé d’après le héros éponyme d’un roman de l’auteur russe Ivan Gontcharov, paru en 1859, ce terme est devenu nom commun, à l’instar du Donjuanisme par exemple. Il désigne sous un même vocable l’agrégation des comportements qui caractérisent le personnage principal de l’oeuvre. Dans les définitions que j’ai pu en voir se glissent des liens de causalité entre les différents items qui ne m’ont pas convaincue ; je ne suis pas sûre que l’enchaînement soit si clair que cela et je vais essayer de vous restituer ce que j’en ai saisi. Cela ressemble fortement à un état dépressif ontologique, qui empêche le « patient » de prendre des décisions sur sa vie, qu’elles soient simples ou complexes : écrire une lettre, se rendre à un dîner ou s’engager amoureusement. Il laisse alors la vie s’écouler en spectateur, les choix se prendre sans lui (sauf s’ils sont négatifs ; notons que refuser de faire quelque chose, c’est déjà choisir). Il offre donc l’image de la paresse et de la procrastination, mais ce ne sont que des conséquences de son état de malaise profond. C’est un homme empêché de vivre et qui en souffre et c’est pourquoi ‘il donne l’impression de n’être bien que dans l’oisiveté.

« Oblomov » est au départ un roman de près de 700 pages, adapté ici pour le théatre, dans une pièce de deux heures et demie, par Volodia Serre, qui réussit l’exploit d’extraire sur une durée si courte une quintessence de cette oeuvre imposante (pour mémoire, « Les trois soeurs » d’Anton Tchekhov, également donné cette saison à la Comédie Française pour une durée équivalente, ne compte pas cent pages).

Nous sommes à Petersbourg, où Oblomov, vivant des rentes de la propriété familiale d’Oblomovka, demeure dans un appartement modeste en compagnie de son domestique Zakhar. Sans occupation, il passe son temps à dormir et rêver dans son divan, évite la société des autres. Plusieurs personnes réussissent à entrer en interaction avec lui, son ami Stolz, qui ne tient pas en place (du moins en référence au héros) et surtout Olga, jeune fille lumineuse qui traverse sa vie et tente de l’extraire de son apathie. La pièce est peu contextualisée historiquement, mis à part le fait que le héros est rentier et qu’il a un domestique. L’aspect politique du texte est ailleurs, dans cette dénonciation par Oblomov de cette société qui s’agite sans but (lorsque son ami Stolz réussit à le traîner dans des soirées mondaines), dans cette volonté d’individualisme d’un homme qui ne veut pas vivre comme les autres (même si ses objectifs rêvés prennent une forme presque classique, se marier, vivre dans sa propriété et cultiver son jardin dans une compagnie choisie et limitée qui répéterait jour après jour les mêmes occupations). C’est un texte existentiel, voire existentialiste, qui nous livre de manière assez brute une réflexion ontologique sur la Vie.

Pour nous conter cette histoire, la mise en scène est à la fois dépouillée et pleine de trouvailles. Un décor assez nu (principalement les chambres successives d’Oblomov où trône son divan et peu de meubles et une clairière stylisée où va se jouer l’essentiel de sa rencontre avec Olga). Des costumes simples et intemporels comme souvent à la Comédie Française, avec quand même une mention spéciale à la robe de chambre du protagoniste principal, omniprésente, et pour cause ! (;-)). Et puis ces magnifiques idées qui viennent ponctuer cette sobriété. Le divan toujours au centre des scènes, quoi qu’il se passe (les décors bougent mais il reste immuable). Cet air de « Casta Diva » (opéra La Norma de Bellini) qui accompagne les moments d’onirisme du héros, ses endormissements et rêves mais également sa rencontre avec Olga… Et enfin, ces images projetées sur les murs de la chambre, figurant le paradis perdu (la propriété familiale, Olga), qui viennent en contrepoint à l’inanité de sa vie réelle, nous représenter la richesse de ses rêveries.

Pour représenter Oblomov, Guillaume Gallienne est magnifique. Tour à tour empli d’une grande philosophie et terre-à-terre, il fait exister devant nous cet homme difficile à saisir dans ses contradictions apparentes et sa ligne de conduite si spécifique. Il rend à la fois la profondeur tragique du personnage et sa dimension profondément risible (il faut dire que nous rions beaucoup dans cette pièce). C’est un grand acteur.

A côté de lui, une distribution courte et à la hauteur. Yves Gasc, irrésistible en domestique bougon, un peu voleur et très dévoué. Il forme avec Guillaume Gallienne un duo rivalisant de drôlerie – un peu à l’instar de Don Juan et Leporello. Et puis citons également l’Olga très convaincante de Marie-Sophie Ferdane, toute en ferveur, une femme qui flirte et joue le mystère avec grande finesse. Et qui, bien que pleine de vie et d’allant, se brise dans la peine lorsqu’elle doit laisser Oblomov en chemin. Sébastien Pouderoux en Stolz apporte vitalité et force, mais pourrait être un peu plus nuancé.

C’est une excellente découverte

FB