Littérature : Tanguy VIEL (1973-) – La disparition de Jim Sullivan

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Attention, encore un livre français de très grande tenue ! Dû à un jeune écrivain de quarante ans, Tanguy Viel, qui fait ici preuve d’un brio certain, tant dans l’écriture que dans la conduite de l’histoire.

Parlons d’abord de cette dernière, si originale.
« Récemment, comme je faisais le point sur les livres que j’avais lus ces dernières années, j’ai remarqué qu’il y avait désormais dans ma bibliothèque plus de romans américains que de romans français »

Par ces premières phrases, le roman entre directement dans le vif du sujet. Le romancier français  (est-ce Tanguy Viel ? Sûrement) décide d’écrire un roman américain. Ainsi, allons-nous lire le résultat de cette transposition, pensez-vous ? Et bien non, nous allons assister à autre chose, de bien plus intéressant et jouissif, l’auteur nous expliquant pendant un peu plus de cent cinquante pages comment il va construire son roman. Et nous sommes comme devant un spectacle de marionnettes, où nous regardons alternativement les mains qui manient les figurines et les marionnettes elles-mêmes. Car tout finit par se fondre à certains moments, et de plus en plus, comme si l’auteur, pris par l’histoire qu’il est en train d’inventer, faisait corps avec elle. En ce sens, c’est un livre sur la création, nous voyons un homme en train d’inventer une histoire sous nos yeux. La virtuosité de l’enchaînement des séquences (comme des plans séquence de cinéma, parfois) qui se complètent sans vraie chronologie montre une maîtrise parfaite de l’art du récit. Et c’est irrésistible, fort drôle par moment.

Le livre offre cependant une dimension supplémentaire qui m’a particulièrement séduite. Sûrement très fin connaisseur de la littérature américaine récente (cela fait penser à Jim Harrisson ou à Philip Roth, par exemple), l’auteur en fait ressortir les schèmes les plus évidents, pour construire une histoire presque banale tellement nous avons déjà eu l’impression de la lire. Recyclant les lieux communs que nous avons rencontrés en lisant ces romans, il nous donne à voir un professeur d’université alcoolique et divorcé, les barbecues sur les pelouses des banlieues middle-class des villes américaines, une maison de pêche au bord d’un lac, des liaisons extra-conjugales, des motels… Et, en jetant ce regard distancié induit par la construction du livre, il fait autre chose de ces archétypes. C’est un vrai plaisir de le regarder échafauder ce récit en accumulant tous ces détails si typiques et légèrement distordus.

En fil rouge, qui donne son titre au roman, apparaît la figure de Jim Sullivan, chanteur américain, disparu dans le désert sans explication un soir et dont une partie des Américains pensent qu’il a été enlevé par des extra-terrestres (peut-être parce que l’un de ses derniers albums s’appelait U.F.O. – O.V.N.I. en français). Personnage énigmatique, qui tire le récit vers une dimension onirique. Reprenant en cela une antienne de la littérature américaine, où il est parfois de bon ton d’introduire un élément un peu magique dans une histoire profondément matérielle.

Tout cela servi par une écriture qui se veut parfois simple, à la limite de la naïveté et qui se révèle parfois d’une grande beauté.

C’est vraiment un livre à lire et à savourer.

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