Cinéma – Steven SODERBERGH : Magic Mike

Steven Soderbergh, né en 1963, est un cinéaste prolifique et déroutant. Depuis que je l’ai découvert, comme je pense une majorité de Français, en 1989 où il emporta la palme d’or à Cannes avec « Sexe, mensonges et vidéo », il a enchaîné près de trente films. Vous en avez forcément vu un ou plusieurs ; il est vrai qu’il faut chaque fois réfléchir avant de pouvoir citer sa filmographie. « Ocean’s eleven », « Le Che », « Erin Brockovitch », « Traffic », c’est lui, entre autres. Difficile de voir le fil conducteur de l’oeuvre, encore brouillé par la prolixité du cinéaste. Il a certes un penchant pour les histoires policières ou d’enquête (Ocean’s eleven, Erin Brockovitch, Traffic, A fleur de peau, Hors d’atteinte…). Mais que dire de « Sexe, mensonges et vidéo », réflexion sur les moeurs américaines, « Schizopolis », film intimiste où il se met en scène ou encore « Solaris », histoire de science fiction et de sentiments éperdus ?

Je viens de voir son dernier opus « Magic Mike », histoire d’un strip-teaseur, qui rêve d’autre chose. Et plusieurs traits d’union me sont apparus entre les différents films de l’auteur (je pense qu’il mérite amplement ce titre, tout « polymorphe » qu’il paraisse).

Les histoires sont simples et charpentées. D’un grand classicisme, elle vont d’un point à l’autre sans grande digression ni aspérité. Au risque d’ennuyer le spectateur qui s’attend à plus de rebondissements. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai beaucoup de mal à me souvenir des synopsis des films, même en les ayant revus. C’est sûrement son point faible qui, je pense,donne à ses films un côté evanescent, qui ne reste pas. Dans Magic Mike, l’histoire est cousue de fil blanc, nous voyons venir l’épilogue de loin.

Le scénario semble cependant être pour le cinéaste l’occasion de montrer autre chose. Choisissant un contexte particulier dans lequel il nous immerge (l’Amérique profonde pour Erin Brockovitch, les casinos pour Ocean’s eleven, le strip-tease pour Magic Mike, le trafic de drogue entre Mexique et Etats-Unis pour Traffic…), il se concentre sur les personnages et leur environnement, un peu à la manière d’un ethnologue/sociologue. Nous le sentons curieux de nature, fasciné à certains moments par ce qu’il est en train de filmer. Ainsi, dans « Magic Mike », il apparaît plus intéressé par ces hommes et ces femmes qui vivent, dans cette boîte de strip-tease masculin, une aventure sexuelle ensemble, que par l’histoire qui se trame. Cela donne des scènes fascinantes d’orgies non consommées, une espèce d’hallucination collective à la fois codée (pas de baiser sur la bouche, certains attouchements proscrits) et transgressive (les strip-teasers miment des actes sexuels sur scène, au milieu des hurlements de l’audience féminine). Dans ces moments, le cinéaste se révèle, enfiévré et emporté par son sujet. Et nous suivons. Les scènes uniquement concentrées sur la trame du scénario se révèlent d’autant plus faibles.

Le cinéaste, dans son choix de montrer la réalité, est aidé par un grand art de la mise en scène. D’un film à l’autre, nous le retrouvons dans ce style particulier, qui consiste à effacer le plus possible ce qui pourrait nous éloigner de ce qu’il nous montre. Image au grain visible, caméra d’une grand fluidité, tous éléments d’une mise en scène qui lorgne vers le mouvement « Dogma » (né en 1995 au Danemark… D’un autre continent et postérieur) pour donner la vision la plus vraisemblable de son sujet. Il ne recule pas devant quelques coquetteries, comme l’écran partagé entre plusieurs scènes dans Traffic, mais tout cela est toujours très maîtrisé.

Steven Soderbergh excelle également dans la direction d’acteurs. Dès « Sexe, mensonges et vidéo »,  pour lequel James Spader reçoit le prix d’interprétation masculine à Cannes et où nous découvrons le très bon Peter Gallagher (qui tournera ensuite avec lui « A fleur de peau »), c’est une évidence. De nombreuses stars hollywoodiennes ou internationales se pressent dans ses films : George Clooney, Matt Damon, Michael Douglas, Catherine Zeta-Jones, Cate Blanchett, Jennifer Lopez, Julia Roberts, Jude Law et même Marion Cotillard. Mais aussi des acteurs moins connus à qui il donne le rôle titre : Sasha Grey et Chris Santos dans « Girlfriend experience » en 2009. Ou des acteurs atypiques, Benicio Del Toro par exemple (extraordinaire), qu’il fait jouer dans « Traffic » et dans « Le Che ». L’acteur principal de « Magic Mike », Channing Tatum, que j’avais vu seulement dans des « Teenage movies » (films américains pour ados, voire pour pré-ados, mais je suis encore très jeune d’esprit…) va jouer dans un nouvel opus en 2013. L’impression que donne le cinéaste est de se créer une famille, qu’il retrouve au gré de ses films. Et les acteurs répondent présents, même les stars, qui pourraient faire bien mieux au box office. Dans les films ils semblent se plier au bon vouloir du metteur en scène, s’effacent derrière son propos et abandonnent leur étiquette, quitte à être à contre-emploi (Jude Law dans « Contagion », Julia Roberts dans « Erin Brockovitch »). Pas de performance au sens de la mise en avant, plutôt des performances dans la capacité à jouer un rôle défini. Steven  Soderbergh a compris quelque chose que les cinéastes appointés par Hollywood ignorent souvent, c’est qu’un film est une rencontre entre des acteurs et un metteur en scène. Il offre ainsi à un certain nombre de vedettes américaines l’occasion de réaliser une de leurs meilleures prestations (ici, Matthew Mac Conaughey). Pour l’industrie du cinéma, mettre en tête d’affiche un nom célèbre, censé faire vendre le film, suffit. Et les stars, pense-elle, jouent le même jeu, prêtes à tout pour empocher le cachet. Steven Soderbergh leur donne un démenti éclatant.

Quant au film lui même, c’est un petit film intéressant sous certains aspects mais assez plat. Il vaut quand même pour l’univers du strip-tease masculin, comme je l’ai dit plus haut.
A vous de voir

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