Difficile d’écrire sur ce film, modeste, sans aspérité et présentant une simplicité parfaite, au moins en apparence. Il reste en tête comme un fil continu et limpide.
Au début du film, nous suivons l’itinéraire de Li, jeune femme chinoise, jusque dans les lagunes de Chioggia, au Sud de Venise, où elle vient pour tenir un bar fréquenté par des pêcheurs. En quelques plans, le metteur en scène nous dit l’essentiel : Li a laissé son fils en Chine pour venir travailler en Europe (elle semble avoir atterri en Italie par hasard) et elle est sous l’emprise de caïds qui lui font miroiter la venue de son fils en Italie pour la tenir. Ils lui font faire ce qu’ils veulent, la déplacent d’une usine à un bar sans préavis. Elle va faire la connaissance de Bepi, un pêcheur âgé, qui va se prendre de tendresse pour elle.
C’est un film sur les relations, qui dit une rencontre entre deux protagonistes dissemblables au premier abord. Plein de tendresse contenue, de justesse dans la description des personnages principaux et secondaires. D’où vient cette impression qu’en deux ou trois scènes, ils existent devant nous ? Ces pêcheurs de la lagune qui viennent recréer un moment chaleureux dans ce bar et cette jeune étrangère. Li et Bepi se trouvent, s’approchent, et se découvrent des points communs. Ils sont exilés tous les deux (lui d’origine yougoslave), ont des enfants absents, lointains. Ils essayent de recréer entre eux une chaleur que le monde ne leur procure plus.
C’est aussi un film qui nous dit le monde actuel. La lagune (magnifique) est entourée d’usines. Le trafic d’être humains et l’esclavage sont montrés de manière concise. Nous sommes pourtant plongés dans cet univers dramatique, en quelques touches, brio du cinéaste. Cette femme sans avenir libre, avec un enfant en otage, qui supporte sa destinée sans plainte, est à elle seule une plainte universelle et épurée. Une tragédie se joue sous nos yeux, sans militantisme.
A l’instar du film, la mise en scène est simple, laissant le récit prendre toute sa place. Elle est pourtant, à la réflexion, d’une grande subtilité, fabriquant de la beauté avec tout. Avec les lagunes sur fond de montagne et aussi avec ce bar populaire, un peu vieillot. Des images qui auraient pu prendre des allures de cartes postales convenues (une jeune chinoise pratiquant le taï chi sur la plage, une ballade dans Venise), s’intègrent dans le film, délicatement. Avec les personnages aussi, que l’auteur magnifie en les approchant avec une pudeur contenue.
Surgit alors chez le spectateur un grand bouleversement, grâce à l’équilibre de tout. C’est un moment de grâce que nous traversons, tellement plein qu’il est difficile de l’analyser.
Ce que j’ai essayé de faire pourtant, à grand mal. Pour le reste, allez voir.
FB