Théatre et littérature : Laurent MAUVIGNIER/Denis PODALYDES : Ce que j’appelle oubli (2012)

Denis Podalydès est seul sur la scène du Studio Théatre. Pendant une heure, il va « dire » le livre de Laurent Mauvignier « Ce que j’appelle oubli », une seule et longue phrase d’une soixantaine de pages ; une phrase qui a commencé avant l’écriture du livre* et continue peut-être après, pour raconter en un flot continu la mort d’un homme sous les coups des vigiles, dans un magasin où il avait bu sans la payer une canette de bière (faits divers réel). Nous ne saurons jamais s’il avait l’intention de payer cette bière ou non.

Le narrateur s’adresse au frère du mort et reconstitue bribe par bribe les événements en une longue marche funèbre de souffrances, ponctuées de moments de vie. C’est une tragédie qui se joue devant nous, l’essence de la vie et de la mort. Une plainte irrespirable, comme veut l’être ce texte sans début, ni fin, ni ponctuation.

Dans sa quotidienneté apparente (description du supermarché et de ses clients par exemple), il parvient grâce au talent de l’auteur à toucher à l’universel. C’est également un texte politique, engagé (enragé ?).

J’avais lu le livre, comme un uppercut et en apnée, en osmose avec ces coups que reçoit le héros et qui le font suffoquer.

Denis Podalydès réussit le prodige d’en faire ressortir les nuances,  les aspérités, toute la trivialité/grandeur. C’est un tour de force qui marque la vraie rencontre d’un auteur et d’un acteur.

Je terminerai par une remarque plus générale. On parle d’audace quand, pour « revivifier » une pièce de Shakespeare, un demi-porc mort est apporté sur scène et découpé par morceaux ou qu’un des protagonistes se masturbe dans un ustensile (que je n’ai pu identifier, désolée), sans rapport bien sûr avec l’intrigue (voir mon article sur « Mesure pour mesure »). Pour moi, la vraie audace est qu’une institution vénérable (poussiéreuse diront certains) donne la parole à un auteur de 45 ans, en qui elle a reconnu toute la grandeur de l’écriture. Nous sommes sur le fond et non sur la forme et c’est toute la différence.

Pour aller plus loin : critique de Armelle Héliot dans le Figaro : http://blog.lefigaro.fr/theatre/

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