Peinture : Vladimir VELIKOVIC (1935- )

Cet hiver, j’ai eu la chance d’aller voir aux « Abbatoirs » à Toulouse (musée d’art contemporain),  une exposition de Vladimir Velikovic, peintre que je ne connaissais pas du tout. Là, dans cette immense cathédrale de briques, j’ai eu un véritable choc devant ces toiles monumentales. Ce peintre, né à Belgrade en 1935, s’est installé à Paris en 1965 et vit depuis en France.

Tout dans son oeuvre est cohérence, mais il faut la reconstituer.

C’est une peinture dure, toute en gris, rouge et noir (exception faite du jaune pour la série des chiens), qui montre l’humanité face à la mort. Quoi que nous fassions, nous allons mourir un jour et nous ne laisserons que des traces, semble dire l’artiste à longueur de toile. Cela commence par des maternités tellement douloureuses et écartelées. Le corps de la mère n’est plus qu’un amas de chair arque-bouté de tous ses muscles vers l’expulsion finale. L’enfant n’est guère mieux loti, c’est parfois un rat. Ce qui rappelle des techniques atroces de torture sur les femmes… La naissance n’est donc qu’un acte de souffrance, qui préfigure la mort. Cela me fait penser aux tableaux classiques de madones à l’enfant, où est très souvent présent un symbole de la mort du Christ, dès sa naissance (grenade, croix, agneau)

Viennent ensuite de vraies scènes de torture. Nous sommes devant des hommes recroquevillés autour de leurs blessures, les membres alanguis dans la mort, le plus souvent. Peints sur fond noir, comme pour les magnifier et les honorer, dans une sorte de suaire qui occupe la majorité de la toile, ils m’évoquent toutes les victimes de la barbarie humaine.

Il y a également une série de peinture sur les traces laissées par des humains dans des caves. Une atmosphère sale et glauque, des ramassis de débris et d’ordures, et puis, tout d’un coup, l’image d’un crochet, ou d’une bonde où s’écoule des liquides, qui laissent à penser que la cave a pu servir de lieu de torture.

Je placerai dans la même veine les crucifixions, sur lesquelles planent parfois des corbeaux menaçants. Le Christ rejoint ici les autres corps torturés déjà évoqués, il meurt dans toute sa banalité d’humain, sans signe de résurrection. Les corbeaux, oiseaux de mauvais augure s’il en est,  rôdent ajoutent à cette idée de salvation avortée.

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Les séries des chiens et des hommes en mouvement complètent le propos du peintre. Des chiens courent sur la toile et finissent par s’écraser sur un mur invisible. Tout au long de leur course, ils s’inscrivent dans des cadres métriques, qui mesurent leur cinétique, comme s’ils faisaient l’objet d’une expérience qui ne dit pas son nom. Ce sont des chiens durs, des pitbulls ou assimilés, que l’on sent prêts à l’agression, mais qui ne font pas le poids par rapport à l’obstacle final. Malgré leur hargne et leur vélocité, ils échouent et se fracassent. L’artiste les désosse, les mesure, comme pour comprendre les fondements de leur échec.

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Les hommes en mouvement sont des Sysiphes* modernes. Ils sautent et s’écrasent à la réception. Ou alors ils montent des escaliers sans sortie visible. Parfois privés de tête, ils ressemblent à des pantins ou à ces images scientifiques du XIXe siècle montrant la décomposition pas à pas de la marche. Objets d’étude, déshumanisés, ne sachant pas où ils vont, ils se heurtent à des architectures qui les dépassent et les amènent dans des impasses.

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Et enfin, une série sûrement plus autobiographique, les feux et les gibets, qui ne sont pas sans rappeler le sort de Belgrade lors de la deuxième guerre mondiale (plus de 2000 morts lors des bombardements d’approche). Ces images montrent désolation et destruction mais avec une approche esthétique certaine, comme si la dévastation du monde lui servait de beauté.

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Il est sûr que tout ce qui est montré et dit ici peut a priori rebuter : mort, torture, souffrance, mutilation. Mais ces objets sont au service d’une oeuvre globale, qui d’après moi, veut montrer la vanité de la vie depuis l’origine. Ce que nous ne voulons pas voir, Vladimir Velikovic, avec sa vision propre des choses, nous le montre. Et en cela c’est une oeuvre complète et magnifique.

Le site du peintre : http://www.vladimirvelickovic.com/

FB

* Sysiphe, pour avoir défié les dieux grecs,fut condamné à faire rouler un rocher jusqu’en haut d’une colline dont il dégringolait chaque fois, et cela à perpétuité.