Vous savez mon appétence pour les films chinois, qui parlent de ce pays où j’ai vécu quatre ans et sont autant de petites madeleines où je retrouve le goût et la saveur de la Chine. Je ne suis donc pas impartiale quand j’écris une chronique à leur sujet, ils sont pour moi moins exotiques que pour un public français classique car j’y découvre tant de traits sociétaux connus au détour des images.
Ici nous sommes à Yanji 延吉, une petite ville du nord de la Chine (même pas 400 000 habitants, un bourg, quoi), en frontière de la Corée du Nord. Haofeng, un cadre de Shanghai, venu pour le mariage d’un de ses proches, va y rencontrer Nana et un de ses amis, Xiao. Ensemble, ils vont plonger dans une relation intense de quelques jours, qui ne les laissera pas indemnes et leur permettra de repartir vers leurs vies respectives.
Ne vous attendez pas à un grand soir, c’est un film délicat, tout en nuances : amis des films d’action passez votre chemin. S’en dégage la beauté subtile, en demi-teinte, d’une oeuvre qui nous dit les difficultés de trajectoire auxquels font face ces jeunes Chinois. Car nous sommes après la pandémie, qui a laissé des traces persistantes dans la société, ôtant à la génération montante l’espoir de réussir comme leurs parents (en 2022, 21% des jeunes diplômés étaient au chômage ; le gouvernement chinois a alors décidé de ne plus publier les chiffres mais nous savons par d’autres sources que la situation ne s’est peu ou pas arrangée).
Ces trois jeunes gens vont se lover les uns contre les autres, dans un moment hors du temps, fait de fêtes débridées et d’excursions en mode ultime. Ils vont peut-être apprendre à se connaître les uns les autres, nous ne savons pas. Mais ils vont apprendre à se connaître eux-mêmes.
Il y a ici une inversion subtile des classes sociales, puisque Haofeng, qui a réussi à trouver un bon emploi et se trouve être le plus aisé des trois, ayant perdu son téléphone (et donc son moyen de paiement), va se faire « entretenir » par ses deux comparses moins fortunés, cuisinier et guide touristique. C’est une vision résumée d’une réalité sociétale qui traverse le pays, d’un côté des nantis, qui peuvent faire des études et obtenir des positions enviables (moyennant une vie de chien toute dédiée aux études), de l’autre des jeunes qui vont survivre toute leur vie dans des boulots médiocres.
Car ce film est un manifeste sur la société chinoise actuelle ; à petites touches, il nous fait sentir bien de ses réalités. Outre la détresse de la jeunesse, nous verrons les villes défigurées par de grands ensembles anonymes, l’importance du divertissement dans la société, sous forme d’excursions et de parc d’attractions, la focalisation sur l’argent (la scène initiale du mariage est extrêmement représentative à cet égard) et même, de manière allusive, le traitement des minorités (dans le parc d’attraction en lisière de la Corée, les visiteurs peuvent assister à des démonstrations d’art folklorique coréen et même se déguiser en autochtones ; il se passe exactement la même chose pour les minorités chinoises, dont le passé demeure sous forme de parc d’attractions de type Disneyland).
La glace restaure un peu de magie dans ces espaces désolés, que ré-enchantent, en forme de moments de grâce, les contes et chansons des protagonistes, comme des rêves d’enfant protecteurs.
C’est un joli film, qui m’a touché de par sa délicatesse.
FB
Disponible sur Canal VOD ou autres plateformes.

Merci pour le conseil et belles fêtes de fin d’année. 😀