Attention, chef-d’œuvre. Réalisé par ce cinéaste unique, capable de nous offrir des odyssées au long cours, qui nous emportent par leur sens de la narration et leurs personnages bien trempés. C’est un réalisateur qui prend le temps, un peu plus de dix long-métrages en trente ans. « Une bataille après l’autre » pourrait définir son travail de metteur en scène, lui qui imagine ses films comme autant d’univers insolites qu’il fait exister dans toute leur vérité les uns après les autres, pour nous immerger dans des mythes fondateurs de notre société, le milieu de la pornographie à New-York (Boogie Nights, 1997), les coulisses d’une maison de couture de luxe (Phantom thread, 2017), ou encore l’origine du mythe américain (There will be blood, 2007).
Ici, dans cette oeuvre ambitieuse de presque trois heures, nous sommes transportés dans une Amérique d’aujourd’hui qui résiste face des politiques abusives en matière des droits humains. Perfidia Beverly Hills (quel nom magnifique pour un personnage qui l’est tout autant, porté par la talentueuse Teyana Taylor) est une militante engagée dans le mouvement révolutionnaire French75, un peu tête brûlée, prête à commettre des actes violents contre le système (pour libérer des migrants, punir des hommes politiques engagés contre l’avortement…). De sa liaison avec Pat (Leonardo Di Caprio), son collègue de lutte, va naître une petite fille Charlene. Dans la deuxième partie du film, nous allons voir le père et sa fille, qui vivent sous un nom d’emprunt, se faire rattraper par leur histoire.
Le film s’ouvre sur une première scène magistrale, une guérilla dans un no man’s land coincé entre camions et béton d’autoroute pour libérer des migrants, qui donne le ton : mouvements de caméra fiévreux qui suivent l’action au plus près, gros plans serrés sur les personnages, mise en scène pourtant inscrite dans la durée, qui prend le temps d’emporter le spectateur. Dès les premières minutes, nous sentons que tout cela va être passionnant et que nous ne verrons pas le temps passer.
Comme pour lui faire pendant, la dernière scène est d’anthologie : je n’oublierai pas cette course-poursuite éperdue dans le désert, entre distorsion des routes, pesanteur des paysages et bolides fonçant dans la lumière crue du soleil, où la grandeur des espaces répond à l’ampleur de la scène. Il y a des réminiscences du « Duel » de Spielberg, ici.
Entre les deux, nous allons assister à une grande fresque où se mêlent tragique, humour (vraiment on rit beaucoup à certains moments), épopée et film d’action, tout cela mélangé pour en faire un objet unique et spécial, comme un concentré de plusieurs films en un. Deux personnages de femmes combattantes entrelacent leur destin avec celui d’hommes hors du commun. Il y a d’abord le père, Pat/Bob, un peu dépassé, drogué en permanence, qui va se reprendre en main pour le bien de sa fille (je n’ai pu qu’admirer la performance de Leonardo Di Caprio, décidément un des meilleurs acteurs du moment). Et aussi la figure hors-norme de Sensei, un professeur d’arts martiaux qui aide de manière souterraine les migrants à s’enfuir (excellent Benicio del Toro). Et enfin, Steven J. Lockjaw (celui qui ferme les mâchoires, quel nom bien évocateur), colonel d’armée, ambigu à souhait, attiré par les femmes noires et en même temps prêt à intégrer la société secrète dite « Club des aventuriers de Noël », où il faut jurer détester les autres races que celle des blancs, pour, je cite « sécuriser et purifier le monde ». Sean Penn, à son meilleur, en fait une interprétation exceptionnelle, n’hésitant pas à caricaturer le personnage, tout en lui donnant beaucoup de densité.
La musique originale, dérivée de la musique répétitive de Steven Reich et consorts, souligne le rythme et la tension du film, jusqu’à devenir un personnage à part entière.
Et au-delà de cette histoire, je ne peux m’empêcher de penser que le cinéaste a un propos politique pour nous avertir sur la facilité avec laquelle la tolérance glisse vers l’exclusion et la démocratie vers l’autoritarisme. Un pays où l’on peut enfermer des gens dans des conditions inhumaines au motif qu’ils ne sont pas du pays, où l’on peut envoyer l’armée assiéger un bal de promotion d’université, où l’on peut déployer des forces militaires dans les rues sans motif clair, est-ce encore un endroit où il fait bon vivre ? « Une bataille après l’autre » nous renvoie peut-être aussi à un mot d’ordre qui nous pousserait à nous révolter un pas après l’autre pour ne pas nous laisser submerger.
Vous comprenez que j’ai adoré ce film.
FB

Cette critique puissante fait l’effet d’une bourrasque ! J’en suis encore tout retourné. Tout à fait à la mesure de ce film nécessaire, intense et si actuel.
Au-delà des performances (j’ajoute à la galerie déjà bien garnie celle de la toute jeune Chase Infiniti que j’ai trouvée admirable), il y a cette lame de fond politique qui invite chaque Américain à se réveiller. C’est de ce charbon ardent que sont faites les œuvres amenées à marquer leur époque.
Merci ☺️
Oui je suis d’accord, la jeune femme est excellente. Ce cinéaste a un don pour révéler le meilleur de ses acteurs et actrices qui trouvent chez lui des rôles parmi leurs meilleurs. Et il parvient même à contenir dans une juste mesure le cabotinage de certains 😉. Et une question : quels sont tes films préférés de lui? (pour ma part je les ai tous aimé, avec en mineure The master et en majeure celui-ci).
J’ai beaucoup aimé celui-ci également, mais je crois que je reste sous l’emprise de « There will be blood ». « The Master » m’avait fait forte impression, tout comme « Magnolia » et « Phantom thread ». Et j’aime aussi énormément « Licorice Pizza ». Peut-être « Inherent vice » serait en mode mineur chez moi.
Ah oui on m’a parlé de Licorice Pizza, il faut que je le voie. Et tu as raison, j’avais oublié l’incroyable « There will be blood ». Merci !
Des avis en globalité positifs. Je n’ai plus qu’à aller le voir. J’ai hésité car j’ai détesté son précédent film : Licorice Pizza. Alors que j’avais bien aimé Boogie Nights. 😉 Bon dimanche.
Oui il faut aller le voir absolument : tu me diras !