Le mois d’août nous livre en général sur les écrans quelques blockbusters auxquels les distributeurs croient moyennement, quelques « navets » auxquels il ne croient pas du tout et d’autres films qui n’ont pas trouvé d’autres créneaux pour sortir sur le grand écran, devancés par des poulains sur lesquels on mise davantage. Et puis, parfois, de vraies pépites.
Cette semaine, en vacances dans la capitale, j’ai fréquenté les salles obscures pour aller voir des films qui m’ont laissé dubitative, au point de me rabattre sur des expositions ou d’autres loisirs. Et pourtant, je ne pouvais manquer ce premier film d’un réalisateur chinois, dont on ne sait pas encore grand chose, sauf qu’il a obtenu un Master of fine arts degree à la New-York University Tisch School of arts Asia à Singapour après un diplôme en bio-informatique.
Dans ce premier long-métrage, situé en Chine (dans une ville du sud que je n’ai pas réussi à identifier), nous allons suivre deux camarades de lycée, Wei et Shuo, qui font connaissance de manière assez violente, après que le premier ait blessé l’autre. Shuo, issu d’un milieu modeste, a perdu sa mère et est battu par son père alcoolique. Wei, quant à lui, vit avec ses parents dans un très bel appartement, père biologiste de haut niveau et mère anciennement hôtesse de l’air, reconvertie en mère au foyer. Shuo va être peu à peu adopté dans cette famille. Je vous laisserai découvrir la suite par vous-mêmes.
Ce que j’ai beaucoup aimé ici, c’est la fusion entre un film chinois classique et un film occidental. De la Chine, il emprunte la lenteur, et la fluidité d’une chronique sans affèterie qui s’inscrit sur l’écran autant dans les silences que dans la parole. La manière occidentale ajoute une esthétique élégante et pensée , nous sentons l’envie du cinéaste de faire de belles images (les films chinois sont en général plus « bruts » puisant leur esthétisme dans le récit lui-même, comme chez Wang Bing ou Jia Zhangke). Ne vous méprenez pas sur mes propos, cette recherche de la beauté des plans est ici parfaite dans son équilibre. Je vous recommande la scène de la disparition, absolument magnifique (je n’en dirais pas plus mais je ne pouvais pas en dire moins 😉)
Le travail sur la bande son est également remarquable, mélangeant œuvres classiques (Bach principalement, qui apporte sa rectitude mathématique non dénuée d’émotion à l’ensemble) et bande son originale de Toke Brorson Odin, un compositeur danois, qui vous prend à la gorge avec son travail sur les sons et les bruits.
Cette histoire riche et complexe, menée par petites touches et rythmée par cette belle mise en musique, nous apprend beaucoup de choses sur la société chinoise de notre époque.
Nous verrons ainsi, de manière allusive, se profiler la politique nataliste du pays (politique de l’enfant unique implémentée en 1979, abolie en 2016 avec la possibilité d’avoir deux enfants, puis en 2021 jusqu’à trois enfants). La place de la femme est également mise en lumière, avec cette femme qui a abandonné son travail et se retrouve assujétie à son mari et à son fils, qui occupent une place de premier plan puisqu’ils sont hommes, la femme toujours en retrait. L’émergence d’une classe sociale moyenne est également un sujet du film (bien qu’à mon avis, il s’agit plutôt d’une classe supérieure – j’ai été un peu déstabilisée par l’agencement de leur appartement, tellement occidental). Il faut aussi citer la pression de l’éducation, les enfants doivent réussir à tout prix parce que les places sont chères (quitte à les envoyer à l’étranger s’ils sont défaillants dans le système chinois – je ne suis pas sûre que les USA soient désormais un pays propice pour cela, vu l’état d’esprit de la société chinoise actuelle). L’importance du sport est également soulignée, dans ce pays où le système de santé est assez pauvre, il faut se garder en bonne santé, prophylaxie vs curation. Et enfin, la place des écrans chez les jeunes, portée ici par un seul des personnages, mais assez soulignée.
C’est un film que j’ai beaucoup aimé, pour sa forme et pour le fond.
FB

je vais scruter les programmes pour aller le voir
Très belle critique pour ce film à l’épure travaillée à l’extrême. Présenté au dernier festival Reims Polar, j’avais été peu séduit par ces reflets « Parasite » et ses accents de « Mister Replay ». J’avais trouvé le style un peu trop confit d’esthétique anthracite au détriment de l’émotion.
Je comprends tout à fait tes réserves, j’avais les mêmes au début, ce qui m’a fait basculer, c’est la vision très délicate et à petites touches de la société chinoise. Et l’utilisation de la musique.
Et puis, j’ai vu plusieurs films la semaine dernière qui m’ont moins que convaincue, j’hésite à écrire quelque chose (« Super happy forever », tellement ténu qu’il en devient indigent, « En boucle », sympatoche, comme on dit et pas plus, « confidente », racoleur et loupé, sur un sujet pourtant bien intéressant et « Déménagement », film japonais très dur sur le divorce mais qui ne m’a pas emportée). Cela a sûrement contribué à mon soulagement devant cet opus chinois. Si tu dois choisir, vois « Black dog », ça c’est magnifique.
Merci pour ton commentaire toujours perspicace et ajusté.
« Black dog » est sur ma liste à rattraper, c’est sûr.
Tu me refroidis un peu pour « en boucle ». J’en ai entendu beaucoup de bien et je l’avais mis en tête des films à voir en ce moment (si j’ai le temps).
Black dog est bien au-dessus de « En boucle » pour moi. Bon je vais essayer d’écrire une critique sur le second.
Et voilà, j’ai écrit sur « En boucle ». A toi de voir 😉
Dès que je peux.