En 1989, la Roumanie est dirigée depuis 25 ans d’une main de fer par Nicolae Ceausescu, dictateur qui manie répression et culte de la personnalité à forces égales. Le pays est une cocotte-minute qui ne demande qu’à exploser, les populations contraintes sur le nécessaire et privées de liberté vont se révolter en décembre de la même année, d’abord à Timisoara, une petite ville de l’ouest du pays, où la police va ouvrir le feu sur la foule. Les émeutes vont alors gagner la capitale, jusqu’à provoquer le renversement puis l’exécution du dictateur et de son épouse après un procès expéditif. Notons que les Roumains ont réitéré en 2025 leur envie démocratique en élisant comme Président le Maire pro-européen de Bucarest, Nicusor Dan, malgré l’interventionnisme russe massif en faveur d’un candidat nationaliste dans cette élection. Peut-être parce que 1989 n’est pas très loin dans l’histoire roumaine, et que les populations se rappellent des souffrances au quotidien provoquées par le régime.
C’est cela que ce film va nous montrer, comment tout le monde fait ce qu’il peut avec un système répressif à grande échelle.
Dans ce film choral, nous allons suivre l’histoire de plusieurs protagonistes pendant ce mois de décembre 1989, juste avant que tout bascule. Et le cinéaste, par le biais de ces trajectoires individuelles, va nous montrer la vie quotidienne de ces gens, en élargissant son propos jusqu’à nous faire voir une image complète de ce qui se passe dans ce pays. Quand la petite histoire individuelle rejoint la grande Histoire.
Au travers de ces récits mis en scène comme des archétypes (une actrice recrutée pour présenter les vœux au dictateur à la télévision, un ouvrier mis en difficulté par une lettre au Père Noël écrite par son fils, un cinéaste obligé de retourner une scène parce qu’une actrice a été disgraciée, une femme qui doit quitter sa maison vouée à la destruction pour la construction d’immeubles modernes, un jeune homme qui tente sa chance pour franchir le Danube avec un ami), nous allons prendre conscience du quotidien de cette Roumanie sous chape de plomb depuis des décennies.
Nous verrons défiler tous les outils de contrainte mis en place par le régime, censure, surveillance, dénonciation, recrutement de citoyens mis en pression pour qu’ils deviennent délateurs, et nous voyons comment les gens se débrouillent au quotidien pour – en premier lieu – éviter de finir dans les geôles du régime et – en second lieu, s’il leur en reste la possibilité – essayer de résister dans cet univers inhumain.
S’ajoute à cela une insécurisation de la vie quotidienne, des marchés parallèles pour les denrées alimentaires, la destruction des habitats pour satisfaire l’appétit urbaniste du Conducator (entre 1980 et 1988, il a ordonné la destruction de 500 hectares au centre de la capitale, dont près de 40 bâtiments religieux pour bâtir le Nouveau Centre civique de Bucarest).
C’est un film subtil, qui nous montre les non-dits, les petites compromissions et lâchetés de ces gens pris au piège (loin de moi l’idée d’émettre une critique, je ne sais pas ce que j’aurais fait dans de telles conditions), leur ingéniosité confinant à l’absurde pour échapper à de vraies menaces sur leur aspiration à vivre une vie normale. Cigarettes et alcool sont de vrais réconforts pour s’inventer une existence meilleure. Nous verrons aussi leurs actes de résistance, petits à l’aune de ce que nous appellerions résistance dans notre imaginaire de pays confortable mais qui demandent un vrai courage.
Le cinéaste excelle à rendre cette atmosphère délétère, où la solidarité n’existe plus, ni dans le milieu professionnel ni même au sein des familles. Nous ne verrons pas beaucoup de policiers ni d’agents du gouvernement, ce n’est plus la peine, la répression est systémique, elle emporte tout le monde et fait de chacun un potentiel délateur de l’autre. Glaçant. Même si tout cela se teinte de burlesque, il y a des moments vraiment drôles ici : « l’humour est la politesse du désespoir » aurait dit Chris Marker.
En incise, si j’ai été particulièrement sensible à ce film, c’est parce que cela me rappelle la Chine, qui fonctionne un peu sur le même mode, le Parti communiste a infiltré la majorité des entreprises pour contrôler ce qui s’y passe, les presque 100 millions de membres du Parti sont en veille dans les quartiers pour dénoncer tout comportement répréhensible, se moquer des apparatchiks du même Parti vaut disparition voire plus… Autre temps, mêmes moeurs.
Reste ici une formidable leçon de résistance, dans un film qui oscille entre burlesque et drame ; dans la période que nous vivons, c’est une œuvre plus qu’intéressante.
FB

j’ai en effet beaucoup aimé ce film . Avant tout parce que traiter de sujets aussi graves avec tant de légèreté allant souvent jusqu’au burlesque relève du grand art . J’ai beaucoup ri … le suicide raté pour cause de coupure de gaz me fait encore rire .
Très juste, je n’ai peut-être pas mis assez en avant le burlesque des situations (pour ma part, la lettre au Père Noël restera un grand moment).
Merci beaucoup pour ton commentaire.
superbe film. Il faudrait retrouver le court métrage autour de la lette dont il est un remake augmenté
Merci, contente que tu aies aimé.