Cinéma – Clint EASTWOOD : Juré n°2 (2024)

« Sortir des limites de notre sensibilité et de notre vision mentale et atteindre à une liberté plus vaste, telle est la signification de l’immortalité » Rabindranath TAGORE (1861-1941)

Nombre d’artistes, à la fin de leur vie (les peintres Monet et Renoir, je pourrai aussi citer Paul Auster dans les écrivains), laissent tomber le superflu pour aller à l’essentiel et nous donnent des oeuvres évidentes et limpides. Comme si le grand âge nous poussait à nous dépouiller pour nous recentrer sur nos valeurs principales.

C’est le cas de Clint Eastwood, 94 ans, déjà auteur d’une œuvre cinématographique impressionnante, qui s’empare ici d’un genre populaire, le film de procès, déjà largement illustré aux Etats-Unis par des cinéastes comme Alfred Hitchcock (« Le procès Paradine », 1947), Otto Preminger (« Autopsie d’un meurtre », 1959) ou encore Fritz Lang (« L’invraisemblable vérité », 1956) et surtout Sidney Lumet (« Douze hommes en colère », 1957), parmi mes favoris. Si je cite à propos des films assez anciens, c’est pour souligner l’influence de cette filmographie, sur la forme – c’est ici un film de facture très classique y compris dans la narration – et sur le fond – l’allusion à « Douze hommes en colère » est évidente, par exemple.

L’argument est sophistiqué : en Georgie, Justin Kemp est désigné comme juré dans un procès pour meurtre, où un homme est accusé d’avoir tué sa petite amie, retrouvée dans un fossé, près d’un bar où des témoins ont assisté à une altercation entre les deux juste avant son décès. Or, en découvrant l’affaire, le juré se rend compte que ce soir-là, il était lui-même dans ce bar et a heurté avec sa voiture ce qu’il pensait être un chevreuil en rentrant chez lui.

C’est sur cette trame habile et implacable que le réalisateur va broder son film. Il nous pose ici la question de la place de la Justice (cette déesse aux yeux bandés, brandissant un glaive dans une main et une balance dans l’autre, sera d’ailleurs présente dans les première et dernière scènes du film). A hauteur d’homme, il interroge le concept : peut-on laisser ses sentiments ou ses intérêts prendre le pas sur elle ? Car chacun des protagonistes aborde le procès avec son histoire personnelle, qui avec des intuitions d’ancien flic, qui avec des convictions basées sur des séries et documentaires, qui avec l’envie de venger son frère, qui avec le souhait d’accéder aux plus hautes fonctions judiciaires, qui avec l’urgence de sauver sa peau.

C’est finalement la justice, aveugle à tous ces arguments, qui va triompher, dans une scène finale en forme de litote.

En cette époque d’élection présidentielle, où les institutions sont quelque peu chahutées aux Etats-Unis (et ailleurs dans le monde également), mettre en avant que le bien commun collectif doit l’emporter, notamment au travers de ces mêmes institutions, sur les intérêts particuliers paraît une message salutaire et bienvenu.

FB