Cinéma – Otto PREMINGER – Autopsie d’un meurtre (1959)

En résonance avec le film de Justine Triet « Anatomie d’une chute » (2023), que j’ai chroniqué récemment (vous noterez d’ailleurs la similarité de la toponymie), je voudrais vous parler ici d’un autre film « de procès » (autre similitude) qui dure lui aussi un peu plus de deux heures (et une troisième).

Tiré d’un fait divers survenu en 1952, le film nous raconte le procès du Lieutenant Frederick Manion (Ben Gazzara), accusé d’avoir tué de sang froid un homme qui aurait violé sa femme Laura (Lee Remick). Celle-ci va faire appel à Paul Biegler (James Stewart), un avocat qui végète dans cette petite ville du Michigan où se sont déroulé les faits.

Aux manettes, Otto Preminger (1905-1986), metteur en scène autrichien, arrivé à l’âge de trente ans à Hollywood, et à qui l’on doit notamment des chefs d’oeuvre comme « Laura » (1944), « Angel face » (1952), ou « La rivière sans retour » (1954). C’est un éclectique, qui n’hésite pas à repousser les limites pour aborder des sujets hors des canons classiques d’Hollywood (Jeanne d’Arc, Porgy and Bess et Carmen Jones, figures relativement inédites) ; il a d’ailleurs produit seul ses films à partir des années 1950 pour mieux marquer son indépendance.

Ici, a priori, nous sommes dans une figure classique, le film de procès, que l’on connaît depuis longtemps, et illustré avec brio deux ans auparavant par Sidney Lumet (« Douze hommes en colère » 1957). Oui mais, oui mais… Il va y avoir la touche personnelle du maître, au-delà de son expérience de metteur en scène de théâtre et de son art pour filmer au cordeau, qui font merveille dans cet espace clos qu’est une salle de tribunal. Car il faut un art consommé pour rendre vivants dans la durée des personnages presque statiques dans ce lieu où la parole prend le pas sur le mouvement.

Il y a d’abord la singularité du héros, si je peux dire, cet avocat vieillissant, revenu de tout, qui s’est fait une vie tranquille, partagée entre la pêche et surtout le jazz (Duke Ellington signe la musique du film). C’est un personnage intrigant dès le début, qui passe son temps entre son piano et la lecture nostalgique d’arrêts de justice, moments qu’il partage le soir avec Parnell Mc Carthy, son confrère avocat, autour d’un verre (voire de plusieurs pour le second). Pour l’incarner, Otto Preminger a fait le choix de James Stewart (1908-1997), cet acteur qui a eu plusieurs vies de cinéma. Le jeune premier candide et attaché à ses valeurs (chez Frank Capra, Ernst Lubitsch ou George Cuckor) s’est transformé dans les années 1950, la maturité arrivée. De ses rôles dans les westerns d’Anthony Mann, il rapporte ici son personnage d’homme marqué par son passé, un peu désabusé et capable de violence envers ceux qui voudraient le menacer ; à son expérience hitchcockienne il emprunte ses qualités d’investigateur ; et il reste fidèle à ses premières expériences, il incarne aussi l’homme simple qui va braver la société. Il est ici majestueux et domine notamment George C. Scott, son adversaire du Ministère public.

Le procès est en effet passionnant à suivre, il est fait, selon les canons du genre, de joutes oratoires, ici brillantes et non dénuées à certains moments d’une mauvaise foi assumée (notamment de la part de l’avocat de la défense). Les dialogues en forme de ping-pong, n’oublient pas d’être drôles à certains moments, notamment quand nous quittons l’enceinte du tribunal. Ajoutez à cela une distribution impeccable, j’aurai une mention particulière pour Eve Arden, qui joue Maida Rutledge, la secrétaire, à la fois nounou et supporter, qui enveloppe ces deux hommes de toute sa maternité, parfois rugueuse.

Enfin, ce qui donne également à ce film son poids, c’est la confrontation de cet avocat, homme mûr, avec le très jeune couple constitué par Lee Remick et Ben Gazzara. Nous avons l’impression d’assister à un tournant dans le cinéma, à l’arrivée de la relève, qui va faire le cinéma des années 1960 avec ces comédiens qui vont laisser sur place la vieille garde pour aller vers leur destin (voir à cet égard la dernière scène). Cela rend le film assez nostalgique et rajoute à son épaisseur.

FB