Pour échapper à l’effervescence ade la Fête nationale chinoise, dite aussi « Fête de mi-automne » 中秋节 ou « Golden week » pendant laquelle des millions d’habitants migrent pour aller voir leurs familles à l’autre bout du pays et où les lieux touristiques sont pris d’assaut, je me suis envolée pour Taiwan en vacances.
Ce qui est intéressant dans ce pays est de jouer au jeu des sept erreurs avec la Chine, remarquer les différences entre ces deux endroits peuplés majoritairement par la même ethnie, les Han 汉, est vraiment intéressant. Par exemple, j’ai vu ici des couples avec trois enfants, ce que je n’ai quasiment jamais vu à Pékin. Je me retrouve dans des références culturelles à la fois identiques et bien éloignées, incroyable ce que peut faire une scission de quelques 70 ans de part et d’autre d’un détroit.
Ma première visite a été pour le remarquable Musée national du palais, construit en 1955 dans le style des dernières dynasties impériales chinoises pour héberger la plus grande collection d’art chinois au monde.
Avant de vous faire partager ma visite, il faut dire quelques mots de l’origine de cette collection, car son histoire est quelque peu rocambolesque.
Après l’abdication du dernier empereur Puyi en 1912, les collections d’art de la Cité interdite furent placées sous surveillance et, en 1925, un musée national ouvrit ses portes, les fonds du palais étant complétés par les objets provenant d’autres endroits habités par la dynastie, tels la résidence impériale d’été à Chengde et le Palais de Mukden à Shenyang. En 1931, devant la menace japonaise, les oeuvres furent emballées dans des caisses, 20 000 en tout et commencèrent un périple qui a duré de 1933 à 1947, traversant une grande partie des régions du pays, Hebei, Hunan, Shaanxi, Sichuan, Zhejiang… Jusqu’à être réunies dans le Palais National de Nankin, sous protection de la République de Chine menée à l’époque par Tchang Kai Chek. En 1948, les troupes communistes de Mao Zedong étant sur le point de l’emporter dans leur lutte contre la République de Chine, Tchang Kai Chek, accompagné de deux millions de fidèles, décide de s’installer à Taiwan ; il va emporter avec lui la majorité de ces oeuvres d’art, qui seront d’abord cachées dans des grottes avant de rejoindre le lieu qui leur est dédié aujourd’hui.
Au total, le musée abrite presque 700 000 objets, qui sont un témoignage unique de l’artisanat et de l’art de la Chine (à titre de comparaison le Musée du Louvre en compte un peu moins de 500 000) et en font le premier musée du monde pour les oeuvres d’art chinoises.
A peu près 3000 objets sont présentés en permanence, avec des rotations tous les trois mois, qui permettent de renouveler sans cesse les oeuvres présentées. Loin de moi l’idée de vous infliger une litanie de ces objets, j’ai opté pour une solution développée par Pierre Desproges dans son « Dictionnaire superflu à l’usage des l’élite et des bien nantis », l’humoriste estimant qu’un mot pour chaque lettre suffisait amplement (je ne peux que vous encourager à lire cet ouvrage de salubrité publique, par ailleurs). Et donc je vais vous présenter une oeuvre (allez, parfois deux) par catégorie, laissant votre imagination faire le reste.
Comme note d’ambiance, avant de commencer, sachez qu’il faisait 35°C dehors avec 70% d’humidité, de quoi ruisseler en permanence, alors que l’air conditionné dans le musée m’a obligée à mettre une doudoune légère, tellement froid…
J’ai ici pu retrouver ma soif de comprendre, là où je me suis heurtée bien des fois à un hermétisme m’obligeant à tout deviner en Chine, car ici les cartons sont tous bilingues. La joie ! J’ai même compris a posteriori des choses qui m’avaient paru bien mystérieuses à l’époque, nimbées de ces caractères incompréhensibles, lorsque je visitais temples et autres lieux de la capitale chinoise.
Dès mon entrée, j’ai croisé ce magnifique bouddha, je savais que j’allais me régaler.
Dans la catégorie des objets en bronze doré, je choisis ce Bouddha Amithaba, façonné au Tibet au XIIe siècle. Ce Bouddha de la lumière infinie se drape sur son avers de volutes d’air ou de lumière.
Et sur son revers, nous conte bien des histoires de la vie de Bouddha (enfin selon mon interprétation, faute de cartons, laissons-nous rêver devant ces oeuvres).
Pour les objets en cloisonné, mon coup de coeur a été pour ce plat, lui aussi de la dynastie Ming, pour la beauté de ses dragons affrontés, dans les deux couleurs de l’Empereur, le rouge et le jaune. Sur un fond turquoise un peu sourd de toute beauté.
Et je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous ces objets tout à fait spéciaux qui hantent notre imaginaire sur l’ancienne Chine.
Tendance qui continue aujourd’hui, vous ne pouvez pas imaginer le nombre d’ongleries qui proposent des « répliques » de cet ancien temps.
Un autre artisanat d’art que je voudrais vous faire découvrir est celui des pierres d’encre, qui constituent avec les pinceaux, l’encre et le papier, des quatre trésors du lettré. Constituées en général de pierre, elles comprennent un espace creux (la mer, hai 海) et d’un espace plat (la colline, qiu 丘) où l’on vient délayer l’encre avant d’en imbiber les pinceaux. Celle-ci, avec ses parements de nacre mêlés d’oiseaux m’a parue particulièrement belle.
Et n’oublions pas, même s’ils ne font pas partie des quatre trésors, ces objets essentiels que sont les « repose-pinceaux » et pot à pinceaux. Ci-dessous, une version de chacun des deux en cristal.
Et cet ensemble très raffiné d’écriture, composé d’un tiroir à pinceaux, d’un pinceau et d’un repose-pinceau (et oui, moi qui n’aime pas les répétitions, je dois faire profil bas). Jade, laque, ivoire, or et corail sont les principales matières ici.
Des objets que je n’avais jamais vus en Chine, ces cabinets de curiosités en bois, faits de petits compartiments dans lesquels on cache des objets précieux, en jade, en porcelaine ou en une autre matière.
Dans la section des livres, j’ai été fascinée par ces pages tellement belles. Difficile de faire un choix, j’ai opté pour un extrait de cet ouvrage sur papier incrusté d’or, un manuel d’astrologie composé par Liu Zhe sous la dynastie Ming, appelé « Calendrier de Datong ».
Je vais tricher cette fois-ci encore, pour vous présenter un autre ouvrage au nom bien poétique « Le Sutra de la gnose du diamant » rédigé en 1428, qui dépeint le chemin d’un humain vers la lumière (ne m’en demandez pas plus).
En forme de pause dans notre voyage au travers des oeuvres, une autre notation qui creuse la différence entre la Chine et Taiwan, l’invitation au silence. Moi qui ai visité nombre de musées ou autres lieux culturels dans plus que du brouhaha, je dois dire que c’est surprenant.
Il existe au sein du musée un section de cartes et plans, j’adore ces représentations fragiles et approximatives du monde qui nous entoure (comparées à tous ces logiciels qui fouillent désormais la planète pour nous donner les indications exactes sur le lieu où nous sommes et sur celui où nous voulons nous rendre). Elles nous disent aussi quelque chose sur la manière dont nos aînés voyaient le monde et insèrent un peu de poésie dans nos alentours, nous laissant encore des marges de découverte.
La peinture est également bien représentée. J’ai choisi cette image de Magu, la déesse taoïste de la longévité, représentée comme une jeune fille, portant un fardeau fait de pêches et de calebasses, symboles de protection et de santé ainsi qu’un panier empli de fleurs et de champignons.
Evidemment, nous ne pouvons pas passer à côté de la céramique. Je voudrais vous présenter cette jeune femme à cheval, dont j’ai déjà vu des homologues dans le Musée national de Chine, elle se courbe car elle est en train de jouer au polo, oui vous avez bien lu ! Nous sommes au Xe siècle de notre ère et certaines gentes dames de l’aristocratie s’adonnaient à ce passe-temps, incroyable !
Ce type de poterie est dite sancai 三彩, trois couleurs, à base de cuivre, manganèse, fer et cobalt, toutes substances qui permettent de donner ces nuances chaudes.
Pour la porcelaine, j’ai sélectionné cette assiette ornée de fleurs et de caractères chinois. Elle est belle dans sa pureté et dans l’équilibre des motifs sur ce fond blanc.
Parmi les objets en bronze, j’ai particulièrement aimé cet ancien vase, porté par des figures humaines et dont l’anse représente un animal en train de s’abreuver. Il y a ici une inversion très étrange et presque tellurique.
N’oublions pas le chef d’oeuvre du musée, ce chou en jadéite gravé, du XIXe siècle, qui présente la particularité d’avoir été sculpté dans un morceau de jade bicolore d’un seul tenant. Alors que les sculpteurs recherchaient plutôt des morceaux de pierre lisses et parfaits, l’artiste, ici, a intégré les imperfections à l’oeuvre elle-même, les fissures et autres craquelures devenant les nervures du chou. C’est ce qui fait la réputation de ce chef d’oeuvre. Et malgré la qualité médiocre de ma photo, vous pourrez apercevoir une sauterelle sur le dessus de la sculpture, j’espère.
Bien sûr les objets en jade ont ici la part belle et on ne sait où donner de la tête parmi toutes ces splendeurs. J’ai sélectionné ce dragon sinueux, très ancien puisque datant de la période dite des Royaumes Guerriers (IVe-IIIe siècle av. JC).
Et après cette merveilleuse et longue visite (il m’a fallu presque cinq heures pour tout voir), j’ai fait une pause dans le salon de thé/restaurant du musée, où j’ai pu déguster un thé oolong 乌龙, une des spécialités de Taïwan, en regardant les montagnes dans le ciel bleu qui surplombaient les bâtiments.
FB























Quel fabuleux voyage ! Merci de ce riche partage 🙂 amicalement