Chine – Les villages blancs de l’Anhui (2023)

Pour égayer mon mois d’août, sans me retrouver dans des endroits surpeuplés (quoi que…), j’ai choisi d’aller faire une itinérance d’une semaine dans une province du Centre Est de la Chine, l’Anhui, pour découvrir les beaux villages du sud. Lors de mon périple, j’en ai visité une dizaine, dont certains (Chengkan, Nanping, Guanyu, Tangmo, etc.).

L’Anhui est une province principalement agricole, longtemps considérée comme l’une des plus pauvres de Chine, peu urbanisée (la capitale Hefei compte actuellement quelques 10 millions d’habitants mais c’est la seule grande urbanisation) jusqu’à ce que commence l’exploitation des minerais dont le lieu regorge, cuivre, charbon et fer après la création de la République Populaire de Chine en 1949, ainsi que la création d’usines de transformation de ces matières premières. La croissance de la région est devenue exponentielle ensuite, également portée par le développement d’un système d’irrigation qui a développé la production agricole de blé et patate douce dans le nord et de riz dans le sud.

C’est une région subtropicale, s’il fait froid en hiver, les étés sont chauds et humides (j’ai ruisselé en permanence, je n’étais pas la seule, dans cette touffeur de mois d’août ; cela m’a fait penser à Bangkok). Le bon côté, soyons positive, c’est la luxuriance de la végétation, absolument incroyable. Comme indiqué, j’ai visité le sud de la région, pour aller voir les villages blancs dont je vais vous parler et j’ai été saisie par toute cette vitalité naturelle, plantations de thé, forêts de bambous, bananiers, camphriers, pins et gingkos et parterres de magnifiques nénuphars roses.

Nénuphars dans le village de Chengkan
Bananiers, dans le même village
Un bambou impressionnant par la taille, village de Tangmo
Et une forêt de bambou en lisière d’un lac
Ce camphrier, vu dans le village de Tangmo, totalise 400 printemps, c’est devenu un arbre votif
Et les rizières au vert acide à perte de vue
Des grenadiers plein de fruits mûrs
Des tiges de sésame en train de sécher

Il n’est pas étonnant que l’on trouve ici l’une des huit principales cuisines de Chine. Très fraîche – les ingrédients sont souvent à peine saisis- elle intègre des légumes, racines et animaux de la montagne (j’ai par exemple goûté une omelette avec des « oreilles de pierre » 石耳, un légume dont je ne peux vous donner une traduction), grenouilles, poissons des torrents… Je dois dire que je me suis régalée.

Quelques unes des spécialités, perdrix, tortues, pigeons font partie de cette cuisine
Des « shaobings », galettes frites à la viande, spécialité de l’endroitl’écriteau mentionne 10 yuans pour trois pièces, soit 1,3 euros
Et dans les boites blanches, le tofu « poilu », très fermenté, autre spécialité, délicieux malgré son apparenceAu premier plan ces horribles saucisses qui hantent tous les lieux publics en Chine, l’odeur doucereuse est insoutenable…
Les « pickles », réalisés en écrasant des ingrédients crus, par exemple de l’ail et des piments, accompagnent les plats ici – l’autochtone en short a failli s’étouffer !
Et bien sûr nombre de plantes médicinales issues de la montagne
Comme dans le Yunnan, le jambon est une spécialité ici

Sans parler du thé, cultivé sur les pentes des montagnes, en terrasse, renommé depuis le VIIe siècle. J’ai rapporté du thé noir mâtiné d’une fleur proche de l’orchidée, dit thé Qimen et un thé vert, le Maofeng, un thé vert duveteux issus tous deux de la région.

Plantations de thé à flanc de montagne

Plutôt que de vous présenter les villages que j’ai visités, les uns après les autres, je vais mentionner quelques caractéristiques qui les rassemblent.

D’abord, j’ai découvert ici une pratique peu propice au tourisme, le prix demandé à l’entrée de chaque village. Imaginez, ces bourgs sont clôturés et vous devez payer pour les visiter des sommes non négligeables, entre 60 et 190 Rmb (8 à 25 €), ce qui en interdit sûrement l’accès à la majorité de la population. C’est sûrement pour les gouvernements locaux une manière facile de gagner de l’argent, est-ce un moyen optimum de favoriser le tourisme intérieur ? Je ne pense pas. Et cela fonctionne, car certains endroits sont pris d’assaut et font l’objet de loisirs collectifs et reproduits à l’infini, tel cet engouement pour la peinture (vous pouvez louer des nécessaires complets dans certains villages).

Des alignements de peintres amateurs, village de Xidi
Qui empêchent presque la progression dans les rues étroites

Cet endroit où se trouvent tous ces villages est également adossé à des montagnes granitiques, que l’on ne peut quitter des yeux. J’ai parcouru bien des routes avec mon chauffeur dont je ne comprenais absolument pas la langue (alors que j’étais capable de me débrouiller avec d’autres), donc les voyages étaient de longues plages de silence où je contemplais les cimes vertes qui m’entouraient et que je retrouvais ensuite en surplomb dans les villages. Magnifique.

Village de Chengkan
Ville moderne de Tunxi, où j’étais logée, ville typique chinoise pour lesquelles les montagnes font le petit plus
Village de Hongcun juste avant l’orage

Et oui, parce que j’ai vécu un orage mémorable, la pluie ayant commencé à tomber en forme de trombes d’eau à partir de huit heures du soir pour durer jusqu’au lendemain milieu d’après-midi avec la même violence.

En sortant de mon hôtel, les trois chaperons blancs dans le torrent improvisé qui fut une rue
Même les canards, trempés, battent en retraite
Tandis que les poules, plus malignes, attendent la fin de l’ondée

Cela a donné à la nature alentour des allures brumeuses sous le ciel qui se déchirait çà et là peu à peu pour laisser voir les montagnes. Même si j’étais trempée, je ne pouvais qu’apprécier la beauté de cette embellie.

Avec la pluie qui continue de s’acharner sur les montagnes, délaissant le village
Ancienne résidence de Tao Yuanming
Village de Nanping

Jusqu’au retour à un ciel lavé de frais et encore tourmenté de quelques nuages gris s’attardant dans les cimes.

Village de Nanping
Village de Nanping

Et puis ce coucher de soleil en forme de combat entre les forces de la lumière et de l’ombre, qui nimbe les sommets.

A l’attaque !

Si je vous ai fait partager tant d’images c’est que j’ai adoré cette mobilité des ciels autour des montagnes. C’était la première fois que je voyais ces écharpes de brume s’enrouler ainsi autour des paysages, je n’ai pas regretté ma journée pluvieuse, même si j’ai bien pataugé ce jour-là.

Venons-en à l’architecture de ces bourgs, qui trouvent leur origine dans la richesse des habitants. Car sur le plan économique, les marchands de la région ont joué un rôle essentiel dans le commerce en Chine à partir du XVIe siècle et jusqu’au XIXe siècle. Ayant commencé par le sel, ils ont ensuite fait commerce de riz, de thé, de bois, de soie et autres textiles, domaines qu’ils dominaient au niveau national ; ils avaient même des liens avec l’Empire de Siam et le Japon.

Cela explique la grande cohérence des constructions, toutes dans un style spécifique appelé « Huizhou« . Les maisons sont le plus souvent aux murs chaulés de couleur blanche, couverts de toits de tuiles noires et surmontées par ces frontons appelés « tête de cheval » que l’on rencontre partout ici.

Ici à Chengkan, avec un portrait bien révélateur
Ancienne résidence de Tao Yuanming
Village de Nanping

Dans ce style d’architecture, nous trouvons aussi de magnifiques intérieurs, préservés miraculeusement, tout faits de bois, à partir du Gingko, cet arbre emblématique de la Chine. J’avoue avoir succombé à cette odeur très prenante, qui m’a fait penser au cèdre, je me serai bien vue vivre dans ces endroits.

L’édifice le plus spectaculaire que j’ai visité est le Temple des Ancêtres de Luo Dongshu à Chengkan. Construit en 1539 et étendu au XVIIe siècle, il couvre plus de 3000 m², sous forme de cours ou de grands édifices aux charpentes décorées et peintes de toute beauté.

Il y a aussi ces portes très particulières, aux frontons recourbés, parfois comme en suspens au-dessus des ouvertures.

Temple Shiqiao, village de Shenxian
Village de Hongcun
Village de Nanping

Ces portes ouvrent sur des intérieurs en bois, avec une première pièce à ciel ouvert, ce qui dit quelque chose sur le climat du lieu.

Village de Tangmo
Non je n’étais pas toujours seule…
Village de Xidi, Hall Chengzhi
Vase, pendule et miroir sont des symboles confucéens que l’on retrouve souvent dans les intérieurs – Miaison Dong Yuan, village de Xidi

Dans une de ces maisons j’ai croisé cet homme qui a réalisé une calligraphie pour moi, sur un poème de Li Bai, écrivain très connu de l’époque Tang (VIIe-Xe siècles). Il faut dire que nous sommes dans une région de production d’encre et de matériel de calligraphie.

Saisi en pleine action

L’Anhui est célèbre pour le raffinement de ses sculptures, qui ornent les intérieurs de leurs délicats volumes.

Village de Xidi
Village de Nanping
Village de Tangyue
Village de Tangyue

Enfin, dernière caractéristique, ces arches monumentales de pierre, appelées paifang 牌坊 qui ouvrent les villages, ornées d’animaux bénéfiques ou gardiens, pour mettre en garde ou inviter le visiteur, cela dépend.

L’arche huwenguang du village de Xidi, de l’époque Ming

Il faut aller voir les paifang du village de Tangyue, au nombre de sept, disposées en arc de cercle, construites sous les dynasties Ming et Qing, en hommage aux ancêtres. Architecture absolument inédite.

Comme vous l’aurez compris, ces villages font la part belle aux générations passées, halls des ancêtres et arches commémoratives sont là pour témoigner de la piété des habitants envers leurs aînés.

Et enfin, la dernière particularité que je voudrais souligner est la présence de l’eau, canalisée, irriguant tout l’endroit, c’est un élément architectural en soi.

Village de Hongcun, bassin de la lune
Village de Tangmo
Village de Chengkan

Ce patrimoine, qui reste assez préservé et ces décors de rêve font de la région un endroit idéal pour le tournage de films historiques.

Dans le village de Hongcun se trouve par exemple le pont que l’on voit dans « Tigre et dragon » d’Ang Lee (2000).

Et dans le village de Nanping, la salle Xuzhi a servi de décor au film « Judou » de Zhang Yimou (1989).

Pour terminer, je vous livrerai une image un peu décalée que j’ai bien aimée, celle d’un autochtone remettant un canard dans le droit chemin (ou ruisseau ?).

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