Le Yunnan, cette province de Chine que je viens de visiter, est celle qui comporte le plus de minorités dans tout le pays, 26 en tout (sur les 56 que compte la Chine). Entendons-nous bien sur la notion de minorité, l’aune de comparaison est l’ethnie Han, qui compte 1,22 milliards de membres. Et s’il est vrai que la moins nombreuse de ces ethnies, les Drung n’affiche qu’un peu plus de. 6000 représentants, les Mandchous sont plus de 10 millions (l’équivalent de la population du Portugal) et les Tibétains et Mongols environ 6 millions pour chaque peuple. Il faut donc un peu de relativité ici…
Excellente occasion d’aller voir à Kunming, capitale de la province, le « Musée des minorités ». J’avoue que je m’attendais au pire, à quelque chose de l’ordre d’un folklore autour de ces peuples qui disparaissent peu à peu dans leur intégration à l’ordre majoritaire. Nous n’échappons pas, effectivement à un espace d’exposition en technicolor sur le sujet (bien que tout soit en chinois, cela m’a paru tout à fait clair !).

Le reste du musée s’avère vraiment intéressant, de très beaux objets et une bonne dose de pédagogie pour nous faire découvrir ces diversités au travers de plusieurs thèmes (ne vous méprenez pas, je ne suis pas dupe sur le traitement des minorités ici, j’ai eu l’occasion – ou j’aurais l’occasion, selon la date où je publierai ce qui est encore un brouillon, dans un article sur le Parc des minorités à Pékin, mais je voudrais ici rendre hommage au lieu).
C’est l’occasion de voir des objets mystérieux et beaux à la fois.
Après cet échantillon d’images glané dans les salles que j’ai traversées en allant de découverte en découverte, je vais vous emmener dans un voyage au cœur des moyens d’expression/écriture développées par ces différentes ethnies. Encore aujourd’hui, il existe des langues et systèmes d’écriture qui leur sont propres, même si une uniformisation autour de la langue Han est en cours au travers de l’école notamment (comme en France à l’époque moderne et contemporaine, où l’on a fait la chasse aux langues et coutumes locales, n’oublions pas notre passé…).
Ce que je vais vous montrer n’est sous-tendu par aucune chronologie, les cartons ne s’embarrassant pas d’une quelconque datation.
J’avoue avoir été passionnée par ce qui a été pour moi une découverte d’une immense poésie. J’ai été captée par toutes ces imaginations d’écriture.
Dans l’image ci-dessous, diverses ethnies, les Va, les Hani et les Nu, nous montrent leur système de calcul pour des prêts. Certains noeuds indiquent la somme empruntée, d’autres le temps alloué pour le remboursement. Par exemple, pour le n°3, un noeud signifie un jour, l’échéance est fixée à 10 jours.
Calculer et écrire semblent être en symbiose dans ces premiers moyens de communication. Ainsi, dans l’image qui suit, les entailles sur le morceau de bois, dans le langage de l’ethnie Va, indiquent que la personne dispose de cinq mois pour rembourser son prêt ; la plus grande entaille dit que le créancier saisira une tête de bétail si le prêt n’est pas acquitté.
Nous passons ensuite à un langage constitué d’objets, j’ai été émerveillée. Ainsi, la séquence ci-dessous signifie la nostalgie du foyer chez les Jingpo (aiguille, fil, racines et graines de sésame).
Toujours chez les Jingpo (on ne s’en lasse pas…), viande, charbon, piment et tissu signifient qu’un conflit a éclaté et qu’armes et vivres sont requis.
Blé et allumettes signifient que l’on va brûler la maison des ennemis (assez clair, non ?), toujours chez les Jingpo.
Continuons avec cette ethnie si créative, l’image ci-dessous représente la première lettre d’amour à la femme aimée. Tabac lacé de ruban rouge, racine de bétel et bambou disent l’amour de l’homme, les deux pièces assurent cette femme qu’il peut subvenir à leurs besoins.
Séquence plus complexe, la deuxième « lettre » à la femme aimée : les deux boutons signifient la sincérité, les feuilles montrent l’envie de l’homme de parler à son aimée, les trois racines disent combien elle lui manque, l’ail lui demande de considérer sa proposition, le gingembre l’assure de son amour pour toujours, les allumettes lui garantissent le sérieux de sa proposition. Si la femme accepte, elle renverra ces objets, si elle n’accepte pas, elle renverra les objets avec en plus ce morceau de charbon.
Passons à l’ethnie Dulong, ce message ci-dessous évoque l’arrivée du maître dans son foyer (la première encoche à gauche), il arrive avec trois personnes et a besoin de six porteurs.
Chez l’ethnie Bulang, un gâteau de riz gluant répond à une demande en mariage ; si le ruban est rouge, la réponse est positive.
Si le ruban est blanc, pas de mariage à l’horizon.
Nous passons ensuite à une écriture plus classique, si je puis dire, qui montre toute la créativité d’une main quand elle décide de tracer des signes sur un support pour faire passer un message.
Evidemment, ce ne sont pas des écrits quotidiens, ce sont des objets créés pour des occasions importantes, religieuses ou avec un but de transmission, le plus souvent.
Tous ces caractères mystérieux, alignés sur ces pages, ont une puissance intrinsèque captivante. Même sans pouvoir les décrypter, nous sommes comme envoûtés par leur signification, que nous devinons.
J’avoue avoir été transportée par cette exposition de toutes ces formes de communication ; je n’avais jamais rien vu de tel auparavant ; et je voulais vous le faire partager.
FB
Un musée passionnant nonobstant ces œuvres de propagande à l’entrée. J’ai beaucoup aimé ce système de comptage avec les nœuds.
Moi aussi j’ai adoré toutes ces autres manières de parler aux autres !