A Rémi Anicotte
Parmi les hôtels dit de luxe, certains sont flambants neuf et offrent à leur clientèle bien des services, spa, massages, salles de sport, piscine et autres, avec une ostentation qui peut parfois défier l’imagination. Ce « package » « all included » promet une sorte de nirvana de l’hôtellerie, avec des prestations haut de gamme à n’en plus finir, comme si nous pouvions absorber une dose de luxe effréné dans un temps minimal. C’est un paradis matériel auquel j’aime bien m’adonner parfois, un univers clos sur lui-même qui tendrait à satisfaire tous nos besoins.
Et puis il existe une catégorie d’hôtels qui mettent en avant leur histoire, même si le luxe reste sous-jacent ici. Car même si les services ont évolué peu à peu pour se conformer à l’attente des clients, ces haltes restent avant tout des lieux chargés de souvenirs. J’avais par exemple eu le privilège de passer plusieurs nuits dans l’Hôtel Old Colony à Jérusalem, il y a bien des années. Cet endroit au charme fou avait accueilli, parmi ses visiteurs les plus célèbres, Winston Churchill, Agatha Christie, Mikhail Gorbatchev, ou plus près de nous, Bob Dylan. Ce que je retiendrai de mon séjour ici c’est l’atmosphère chargée d’histoire. J’ai adoré penser que peut-être Agatha Christie avait contemplé ce jardin luxuriant où je prenais mon petit-déjeuner, le même service à thé, le même endroit aux allures méditerranéennes où nous nous croiserions dans une distance virtuelle, à presque un siècle de distance.
J’avais décidé d’aller revoir cette belle ville de Tianjin 天津 (le Gué du ciel, bien joli nom, en traduction) à quelques cent kilomètres à l’est de Pékin et j’ai réservé à nouveau une chambre dans l’Hôtel Astor (j’avais déjà passé une nuit là-bas fin 2020 – J’avais voulu voir cette ville comme premier voyage à mon arrivée, pour conjurer la quarantaine que je venais d’y passer).
A noter que le nom de l’hôtel est lui aussi bilingue « Astor » étant traduit en chinois par Li Shun De, trois caractères qui font référence au pouvoir de connaissance du Confucianisme, miracle des passerelles interculturelles qui construisent des sens bien différents dans les deux langues.
Vu de la capitale où j’habite, c’est un saut dans le temps et dans l’espace, un voyage à la fois bien proche et bien exotique qui m’a amenée là (la ville est reliée par un train rapide, à 30 minutes de la capitale), passant d’une ville très chinoise à un endroit plus métissé dans ses constructions.
Il faut d’abord vous donner quelques repères historiques sur cet hôtel. Il a été construit par John Innocent, un missionnaire méthodiste anglais en 1863 (cela ne s’invente pas !). Cette fondation intervient juste après le Traité de Pékin, mettant fin à la seconde guerre de l’opium, qui amène la Chine à accorder des concessions dans la ville à l’Angleterre, à la France et aux Etats-Unis, pour que ces nations puissent s’installer dans la ville (notons qu’à l’époque nous parlons plutôt de campagne avec bien peu d’habitants, rien à voir avec la ville actuelle qui compte plus de 14 millions d’âmes). Cela, plus la fondation de plusieurs autres concessions, Italie, Japon, Allemagne, fera de Tianjin une ville très internationale. Il en reste bien des merveilles d’époque, des bâtiments occidentaux qui se sont mélangés au fil du temps à des édifices construits par des Chinois dans le même style. Cette ville hybride s’avère très intéressante, je ne peux que recommander sa visite.
Comme c’est un des premiers édifices occidentaux, construit dans un presque no man land de campagne, il a servi de base à l’établissement de différents consulats, abritant à la fois les délégations et leurs bureaux (jusqu’en 1929 pour le consulat américain, une preuve du confort de l’endroit !).
En 1886, il a été surélevé de un à trois étages, comme vous le voyez ci-dessous. Et en 1924, une aile a été ajoutée, incluant un ascenseur, l’un des premiers en Chine (que l’on peut toujours voir dans le bâtiment actuel). Les variations assez spectaculaires de la façade au fil du temps ont pourtant préservé l’ensemble des structures et décorations intérieures, pour notre plus grand plaisir. Il a miraculeusement échappé aux destructions de la Révolution Culturelle grâce à l’action de Zhou En Lai (premier Premier Ministre de la République Populaire de Chine, de 1949 à sa mort en 1976), qui était originaire de la ville et a sauvé la majorité du patrimoine étranger ici.
Imaginez que vous puissiez basculer en un instant d’un univers chinois à un hôtel qui ne déparerai pas à Londres. Un vrai choc de culture qui vous laisse sans voix.
Car vous allez plonger dans un autre monde, même si le hall ressemble à bien d’autres hôtels de luxe chinois.
Quand vous vous enfoncez dans la partie ancienne de l’hôtel, les lieux deviennent bien occidentaux. J’ai eu l’impression de marcher sur les pas de Winston Churchill et de croiser Pu Yi, le dernier Empereur qui fréquentait le lieu pour danser le tango.
Ces immenses escaliers, bardés de luminaires précieux nous rappellent le Royaume-Uni, nous pourrions être en train de visiter un château écossais..

Lors de ma visite, cette fois-ci, j’ai eu la chance de pouvoir accéder à des chambres spéciales, celle d’Edgar Hoover et celle de Sun Yat Sen (que vous pouvez louer). Pas de photo possible, donc je vous montrerai ma chambre, où j’ai passé une nuit digne de Walter Scott (dans les moments apaisés de son oeuvre, je vous rassure…).
L’hôtel, qui est une marque de l’histoire dans la ville, abrite un musée où nous pouvons voir son rayonnement qui s’étend jusqu’à la capitale. Concerts de jazz ou représentations de théâtre chinois par le très célèbre acteur Mei Langfang, le lieu est un épicentre d’une culture mélangée et dynamique jusqu’au milieu du XXe siècle.
Je me suis endormie au creux d’un entre deux mondes, Occident et Chine à mon chevet.
C’est un voyage interculturel bien intéressant que j’ai fait là. Je ne peux que recommander de séjourner dans cet hôtel hors du temps et de l’espace.
FB
Chère rue 2 provence , vous nous faites rêver . J4irais bien moi aussi faire un tour entre Orient et Occident .
Vous êtes décidément tout terrain ! Cet hôtel semble en effet hors du temps. Merci pour le reportage et ..; beau printemps chinois 🙂 amicalement
Je suis sous le charme. Au fil de la lecture, je m’y voyais.
Quel beau voyage, dans tous les sens du terme.
Merci 🙏