Spectacles : Philippe DECOUFLE : WieBo (2014)

Wiebo 1

Recto

Bowie

Verso

 « J’aime l’outrance de David Bowie et sa maîtrise dans l’outrance » (Philippe Découflé)

A l’occasion d’une grande exposition qui se tient actuellement à la Philharmonie de Paris sur David Bowie, le chorégraphe Philippe Découflé a monté un spectacle en forme d’hommage au chanteur, « WieBo », avec sa compagnie de toujours, DCA (1).

Ce mélange ne laisse pas de surprendre, au premier abord. Decouflé, l’homme du corps en mouvement, de l’acrobatie portée à son niveau le plus haut, des performances très visuelles, gaies et colorées, s’emparer de cette rock-star et de son répertoire ? Voyons voir…

Et nous assistons à un spectacle d’une grande et belle limpidité, comme une évidence. Dans la grande salle de l’ex-Cité de la musique (2) ré-agencée en salle de concert rock, avec podium au centre, nous sommes partis pour une heure et demie de pur bonheur pendant lesquelles trois chanteuses, Sophie Hunger (tendance folk), Jehnny Beth (chanteuse du groupe Savages, rock post-punk) et Jeanne Added (rock plus minimal), vont interpréter certains des plus grands succès de David Bowie. Space Oddity, The man who sold the world, Changes, Life on mars,… autant de titres revisités par ces voix féminines en forme de trio avec une grande vitalité (même si l’on peut en préférer certaines, pour moi Jeanne Added).

Mais à côté du récital qui égrène les succès du chanteur, se fait jour une dimension supplémentaire qui va s’avérer passionnante, portée par la troupe de Philippe Découflé. Acrobates d’une agilité confondante, danseurs de très bonne tenue qui viennent souligner la musique dans une grande complicité avec les chanteuses (comprenez moi bien, nous avons l’impression qu’ils font un boeuf tous ensemble, nous ne sommes pas dans un spectacle millimétré comme dans ces concerts de nouvelles stars du pop), et nous plongeons avec eux dans ce spectacle complet et baroque.

Je voudrais souligner plusieurs aspects de cette performance qui m’ont paru vraiment réussis, au-delà de l’interprétation des titres du chanteur, vraiment bien exécutée, et qui tentent de nous restituer l’artiste lui-même.

La première chose est l’esprit de fête qui habite le moment que nous passons avec eux ; gais, bondissants, habillés de lumière, ils nous entraînent dans un univers de réjouissance, où tout est permis, miroir de ce que devait être le London underground de l’époque. Baladins en tenue étincelantes, ils soulignent les morceaux comme un clip éphémère très pertinent (trapézistes vêtues d’argent et danseuses en scaphandres transparents pour « Is there life on Mars ? », par exemple).

C’est aussi un portrait en forme de puzzle qui se dessine devant nous, porté en forme de fragments par l’ensemble de la troupe, qui avec la chevelure rousse qu’il arbore sur la pochette d« Aladdin sane », qui en éphèbe à la coupe courte et blonde, qui avec un look d’animal rappelant « Diamonds Dogs », qui en dandy dégingandé, habillé(e) d’une veste de costume… Autant de tenues entières ou par touches, comme autant de signes qui font exister David Bowie devant nous. Le plus beau moment étant sans doute d’après moi, la reconstitution des pochettes de ses albums par des membres de la troupe qui prennent la pose. Ce kaléidoscope dessine un artiste complexe et beau.

Tout cela est d’une intense poésie, comme à l’habitude chez le metteur en scène, à l’instar celle qui est présente dans l’oeuvre de David Bowie ; en allant au-delà des mélodies que nous connaissons tous, il nous amène à reconsidérer à la fois l’homme et son oeuvre musicale comme porteurs d’un monde onirique bien à lui, presque magique.

Enfin, soulignons également le mélange des genres (je devrais dire « du genre ») qui rend hommage à celui qui a avoué sa bisexualité en 1972, trop tôt pour que la société puisse l’entendre (3). Ainsi, devant nous, femmes et hommes deviennent interchangeables, dans une sorte d’androgynie collective (4), et les éléments de discrimination visuelle se brouillent (robe/veste de costume/chaussures d’homme ou de femme…) pour former un tout indistinct, à la fois sexuel et asexué.

Bref, tout entre en résonance dans ce spectacle, voix, danse, acrobaties, lumières, dans un équilibre parfait, pour rendre hommage à cette grande rock-star et à sa musique.

Magnifique spectacle.

FB

Le spectacle en intégralité (jusqu’au mois d’août 2015)
http://concert.arte.tv/fr/wiebo-de-philippe-decoufle-un-hommage-david-bowie

Et David Bowie, « Heroes »

(1) Diversité, Camaraderie, Agilité : comment imaginer plus beau nom pour cette troupe, non ?
(2) Renommée depuis janvier « Philarmonie 2 ».
(3) Je ne fais ici ni l’apologie ni la critique de cette orientation sexuelle ; je cherche simplement à la remettre en contexte du spectacle.
(4) Puisque nous sommes quelques jours après le 8 mars, journée des droits de la femme, je voudrais souligner une curiosité : pourquoi le mot « androgyne », qui désigne un être humain dont l’apparence ne permet pas de savoir à quel genre il appartient, est-il forgé sur la racine « andros » = homme ? Sans vouloir faire ma féministe exacerbée, je vous laisse méditer…