Je dois dire que je suis une grande fan de la collection « Verdier », qui promeut régulièrement des écrivains très originaux (j’avais ainsi lu un livre que je n’ai pas chroniqué, je ne sais pourquoi, peut-être u n jour, Absolutely nothing – Histoires et disparitions dans les déserts américains, dans lequel un écrivain italien flanqué d’un photographe d’origine iranienne Ramak Fazel, exploraient les no man’s land des États-Unis, émouvant et tellement drôle).
Ici il s’agit d’un écrivain français, qui a pris un nom de plume (il s’appelait Alexis Mital), a changé de pays (il habite à Berlin), et de religion (il s’est converti au judaïsme) ; peut-être faut-il prendre toutes ces distances généalogiques, religieuses et géographiques pour avoir le recul nécessaire et écrire un tel livre. Car il porte une ascendance lourde de sens, petit-fils d’Antoine Riboud, que l’on ne présente plus, et fils d’un producteur de cinéma et d’une journaliste, familière des hommes politiques de gauche de l’époque. Formé de manière très adéquate avec le milieu dont il est issu, il fait Science Po puis étudie à la London School of economics à Londres. Il va ensuite diverger de ce parcours tout tracé, partant documenter les manifestations et contre-sommets à Porto Alegre, Gênes et en Amérique du Sud.
Il porte dans sa chair deux blessures, une chute survenue à l’âge de 17 ans (il est né en 1975) et la mort de son frère suicidé en 2005.
Lui, nourri de l’idéologie socialiste dans son jeune âge, la chute du mur de Berlin, le défilé d’invités prestigieux chez lui, nombre d’homme politiques proche de Mitterand, nourri de littérature à l’avenant, Marx, Guy Debord et consorts, va quitter ici ce monde policé, pour nous livrer un essai fulgurant et désespéré sur notre monde actuel.
La forme peut paraître déroutante au premier abord, italiques, majuscules, retraits de paragraphe et insertion de photos, qui finalement donnent un rythme tout à fait personnel à ce court opus (un peu plus de 150 pages), s’en prenant à nos certitudes, nous amenant à nous interroger sur l’essence même du capitalisme, nous montrant comment nous nous sommes laissé enfermer dans un univers qui nous paraît ouvert mais qui est finalement clos sur lui-même. C’est un livre en forme de réconciliation entre le jeune homme de 25 ans, révolté par ce qu’il voit et l’homme qu’il est maintenant deux décennies plus tard ; la colère face aux événements n’est pas tombée, elle a changé de forme, s’est consolidée au gré de ce qui s’est passé après. La seule paix qu’il fera ici est avec sa mère, et c’est bouleversant.
Une oeuvre magnifique qui m’a particulièrement touchée, en ce moment où je m’interroge moi-même sur le monde dans lequel je vis, où les protestations ne touchent que la surface du problème, ne remettant jamais en cause en profondeur le système dans lequel nous nous sommes installés.
A lire absolument.
FB
