Cinéma – Delmer DAVES : 3h10 pour Yuma (1957)

Delmer Daves

Le western est à mon avis un genre passionnant, qui permet à un réalisateur de s’exprimer dans un cadre contraint, avec ses motifs incontournables puisés dans l’imaginaire de l’acte fondateur des Etats-Unis qu’est la Conquête de l’ouest américain ; fermiers durs à la tâche, villes sorties du néant, grands espaces, bandits et shérifs, saloons et leurs entraîneuses, troupeaux de vaches rameutés à grands cris et sifflements par des cowboys endurants, Indiens et orpailleurs, coups de feu tous azimuts, tous ces symboles mythiques sont autant de figures imposées qui prennent vie sur la toile.

Il est des cinéastes qui en font de larges épopées, travellings qui balayent les grands espaces pour leur donner plus de profondeur sous d’immenses ciels balayés d’orage ou de soleil, disant ainsi la petitesse des humains qui essayent de les conquérir (John Ford, Kevin Costner et Clint Eastwood, par exemple).

Il en est d’autres qui se concentrent sur les relations entre les personnages et qui, sans oublier de nous décrire cette nature hostile et intouchée, en font un décor pour une histoire humaine souvent pleine de bruit et de fureur (Anthony Mann me semble le plus représentatif du style).

Le film dont il est question appartient à la deuxième catégorie. Delmer Daves (1904-1977), le réalisateur, a déjà eu plusieurs vies dans le milieu du cinéma avant d’en venir à la réalisation ; juriste de formation, il a été ensuite figurant de cinéma dans les années 1930, puis scénariste (notamment pour Léo Mc Carey), avant de commencer à filmer ses propres œuvres, dont celle-ci, particulièrement réussie.

Venons en à l’intrigue. Ben Wade (Glenn Ford) et sa troupe de hors-la-loi attaquent une diligence en bordure du Mexique, tuant le conducteur. Le shérif de la bourgade voisine va se lancer à leur poursuite et arrêter le bandit. Il faut maintenant arriver à le remettre entre les mains de la justice, ce qui requiert de le convoyer jusqu’à la ville voisine de Contention (lieu prédestiné 😉) pour qu’il prenne le train pour Yuma où il sera incarcéré. Dan Evans, un fermier qui peine à entretenir son troupeau avec la sécheresse chronique de la région, va se proposer pour l’accompagner afin de toucher la récompense qui lui permettra de prendre soin de ses bêtes. Nous allons suivre leur parcours (bien sûr semé d’embûches et de dilemmes moraux) vers ce train qui part de Contention pour Yuma à 3h10, en forme d’une confrontation sans merci entre les deux hommes.

Il plane ici des réminiscences du film de Fred Zinnemann « Le train sifflera trois fois » (1952), à la fois dans le sujet (l’attente d’un train et toute la tension qui monte à l’avenant) et dans le format resserré (1h25 pour le film de Fred Zinnemann, 1h30 ici).

C’est un film concentré, tout va aller vite, même si le cinéaste ne sacrifie jamais le contenu, il le condense. Il prend des libertés inédites, par exemple superposer deux actions sur le même plan (la diligence attaquée qui revient à bon port et le départ de la troupe qui cherche le meurtrier). Son travail sur le rythme est passionnant, nous sentons que tout est pensé, chaque plan est travaillé, il conçoit son film comme une œuvre sans temps mort. Et, comme si nous étions dans un opéra du Far West, il nous donne à voir une incroyable scène d’introduction (une « ouverture ») – la diligence à toute vitesse dans le désert et l’ombre portée des chevaux sur la végétation désolée et une scène finale magistrale, quand la pluie vient comme un soulagement de la tension qui a sous-tendu tout le film (j’ai pensé à « Douze hommes en colère » de Sydney Lumet, sorti la même année avec la même atmosphère moite et orageuse). Et nous aurons vu avant cela les personnages converger tous à leur rythme vers l’épicentre du récit, la ville de Contention, faisant comme un film choral.

La caméra virevolte d’un point de vue à un autre, à hauteur de diligence, à hauteur de toits, à hauteur d’homme, en plans serrés et fiévreux qui disent la tension de l’histoire.

Le réalisateur creuse l’ombre et la lumière, comme un sculpteur, faisant naître des scènes d’une grande beauté, où les silhouettes se découpent sur ce qui les entoure ; je retiens celle du couple éphémère formé par Glenn Ford et Felicia Farr, une serveuse de saloon qui croit un moment qu’elle pourrait échapper à cette vie solitaire.

Car c’est un autre atout du film, cette capacité à décrire de vrais personnages. Glenn Ford campe un bandit courtois, avec des valeurs, à rebours de ce que l’on attendrait, Van Hefling est un Dan Evans plein de rectitude, qui joue le tout pour le tout ; les autres personnages prennent vie, grâce à nombre de notations naturelles issues du quotidien, non exemptes d’humour (la suite nuptiale où se réfugient le bandit et son escorte…), mais aussi avec ces dialogues fournis (c’est un film plus disert que bien des westerns) et une caméra qui épouse de près leur personnalité, se faisant douce ou dure selon la circonstance.

Je ne peux que recommander ce film (et merci Princecranoir pour la recommandation).

FB