En 1969, le cinéaste russe Andreï Tarkovski, qui a créé l’événement avec son premier film « L’enfance d’Ivan » (1962 – Lion d’or à la Mostra de Venise, entre autres), revient à Cannes avec ce (long) long-métrage de plus de trois heures, « Andreï Roublev » (le film, présenté hors compétition, recevra le prix de la critique internationale). Le réalisateur a travaillé avec son compatriote Andreï Kontchalovski pour répondre à une commande officielle d’état ; l’oeuvre sera finalement censurée et interdite de diffusion jusqu’en 1971.
C’est un film exigeant, qui nous raconte la vie d’Andreï Roublev, moine peintre d’icônes, en forme de petits épisodes situés entre 1400 et 1423. Recruté pour travailler sur la décoration d’une église de Moscou, il quitte le monastère où il vit depuis toujours et s’en va de par les chemins de la vaste Russie, dont il va découvrir la vie quotidienne.
Ce coeur pur, qui est incapable de peindre les choses mauvaises et trouve sa joie dans la discussion avec des enfants, va se heurter à un monde dur et anarchique, où règnent l’arbitraire de la violence et l’obscurantisme le plus total. Ravagée par les raids des Tatars, la rivalité dynastique de princes avides de pouvoir, la Russie est en proie à la disette et aux épidémies, tentée par l’alcoolisme, le paganisme et la débauche comme exutoires désespérés.
Pour nous restituer cette période noire, le cinéaste couvre la terre de pluie diluviennes, de neige et de boue pour mieux dire l’engloutissement des humains dans ces immensités désolées. Il l’habille d’une image en noir et blanc splendide qui convient parfaitement à ce film intense et formel à la fois. La bande-son minimaliste laisse la place au gémissement du vent et au silence des étendues froides, pour encore renforcer ce sentiment de déploration.
Le héros regarde ce monde en spectateur engagé, horrifié par ce qu’il découvre, au point de faire voeu de silence et d’arrêter de peindre après le sac de la ville de Vladimir par les Tatars. Et cette relation dialectique entre le bien spirituel, représenté par le moine et son univers et le mal terrestre entraînant les hommes dans la noirceur est passionnante.
C’est également un conte ontologique sur la création artistique, ou comment un simple humain peut transcender son époque, aussi laide soit-elle, pour concevoir d’éblouissants chefs-d’oeuvre emplis de spiritualité. Et le cinéaste passera à la couleur quand il s’agira de nous dévoiler ces oeuvres, de magnifiques icônes, comme si elles avaient la magie de ré-enchanter le monde.
Il est compréhensible qu’un pouvoir politique autoritaire, quel qu’il soit, et a fortiori celui de l’époque soviétique russe, ait pu se sentir menacé par les propos de ce film hors-norme. Car nous ne pouvons nous empêcher de penser que cet Andreï Roublev aux yeux purs comme le Christ (magnifique Anatoli Solonitsyne) est comme un double du cinéaste, qui dit l’obscurantisme de son époque et l’incompréhension de la société dans laquelle il vit face à la spiritualité et à l’art.
Film intense et magistral, il donne à réfléchir sur plusieurs dimensions, et c’est captivant.
FB

Merci pour cette critique d’un film magistral vu il y a longtemps. Très grand cinéaste ce Tarkovski . Vous l’avez revu au cinéma ou via une plateforme ?
Je l’avais enregistré ; a priori difficile de le trouver sur une plate-forme.