Cinéma – Jean RENOIR : Le crime de Monsieur Lange (1936)

Le Crime de Monsieur Lange - Film (1936) - SensCritique

Un couple en fuite se présente à l’Hôtel de la frontière et demande une chambre, au moment où un homme est recherché pour meurtre. Devant les soupçons des propriétaires de l’hôtel et des résidents, la femme va faire le récit de ce qui s’est passé et qui a conduit l’homme avec lequel elle voyage au crime dont il est question.

Flash-back, nous sommes à Paris, dans un immeuble d’un quartier populaire, qui héberge les locaux d’un journal « Javert », géré par Batala (Jules Berry), la blanchisserie de Valentine (Florelle), avec ses quatre blanchisseuses, et Amédée Lange (René Lefèvre), locataire un peu rêveur, perdu dans ses histoires de cow-boys en Arizona, tout cela sous la houlette du concierge, un ancien de la campagne du Tonkin, qui occupe la loge en bas de l’immeuble, avec sa femme et son fils. Batala, qui a flambé tout son argent jusqu’à être ruiné, prend la fuite, après avoir recruté Amédée Lange pour produire une bande dessinée « Arizona Jim ». Les ouvriers de l’imprimerie vont alors décider de fonder une coopérative, qui va se concentrer sur Arizona Jim.

Jean Renoir, dans son style incisif et alerte, nous offre une vision du Paris populaire et il ouvre parfois, pour notre plus grand bonheur sur d’autres lieux dans la capitale, nous voyons les omnibus qui sillonnent les rues, les kiosques à journaux, c’est toute une époque qui se rappelle à nous, celle où la Première Guerre Mondiale est loin derrière, et où le Front populaire va bientôt advenir au pouvoir, dans un contexte de crise économique qui s’éternise.

Il y a ici un hommage aux petites gens, aux travailleurs, qu’il dépeint à la fois de manière très idéaliste et très réaliste (je sais, cela a l’air antithétique, mais non, les deux contraires se rejoignent ici), qui fait pendant à son film ultérieur « La règle du jeu », jeu de massacre des élites aristocrates et bourgeoises (notons que ce dernier opus est sorti en 1939, le contexte politique était largement plus sombre, ce qui explique en partie sa noirceur). L’immeuble apparaît comme un phalanstère, tel que l’avait imaginé Charles Fourier (1) au XIXe siècle, un lieu de vie paradisiaque que l’on ne quitte que sous la contrainte de la fuite (Batala d’abord, puis Amédée et Valentine ensuite).

Car ce qui nous saisit ici, c’est la fraîcheur et la spontanéité des relations, le film exalte la fraternité, l’amour et la solidarité dans cet espace clos, porté par les dialogues de Jacques Prévert ; les répliques fusent, brillantes et poétiques (ah la gouaille de Florelle !), c’est souvent très drôle. Le jeu des comédiens est au diapason avec l’esprit de répartie qui anime les dialogues, ils sont tout le temps en mouvement dans cette quasi-unité de lieu, qui permet, et c’est là la grande innovation du film, des mouvements de caméra tels que jamais vus auparavant. Il faut bien sûr citer le long travelling qui accompagne le meurtre et balaye les fenêtres puis l’escalier, suivant en cela la course du protagoniste principal et qui est resté célèbre ; mais cette fluidité parcourt tout le film, des mouvements de caméra qui passent de l’un à l’autre, là où nous étions plutôt habitués à des plans fixes successifs dans ce cinéma des années 1930/1940.

Je voudrais terminer en citant l’incroyable prestation de Jules Berry, qui construit un personnage d’escroc tout à fait réjouissant, flatteur, séducteur, embobinant hommes et femmes sans distinction, leur faisant faire ce qu’il veut, avec tout le répertoire de sa voix modulée entre acier et velours. Il est excellent, sorte de Louis de Funès tendance latin lover qui crève l’écran.

Un film joyeux (malgré le titre), à voir absolument.

FB

(1) Charles Fourier (1772-1837), philosophe, imaginait des communautés, les phalanstères, des espaces de vie solidaire où tout serait en harmonie.