Voici un film chinois, assez confidentiel (à Paris seulement deux cinémas le projettent), prix spécial du jury du Festival de Locarno en 2021 (peut-être a t-il déjà fait l’objet d’une sortie en salle à cette époque, j’étais bloquée en Chine, donc je ne sais pas).
QIU Fu, un jeune garçon, se fait embaucher dans les années 1930 par une troupe d’opéra célèbre du genre dans le Sichuan (prononcez : seu-tchou-an – c’était la minute de prononciation de mandarin 😉). Au début du film, nous voyons des divinités des Enfers venus pour l’emmener vers l’au-delà à la fin de sa vie ; nous suivrons ensuite en un long flash-back sa vie depuis son enfance dans cette troupe qu’il ne quittera pas, où il se mariera et aura des enfants.
C’est une fresque déroutante, d’abord par son format, 3 heures en tout. Ce n’est pas exceptionnel en Chine (« An elephant sitting still », que j’ai chroniqué sur ce blog fait presque 4 heures), où il existe un genre filmique contemplatif, qui prend son temps pour construire les atmosphères, lier les personnages entre eux et donner le temps au spectateur de s’immerger dans le récit. Aux antipodes des films d’action de type Marvel ou autres opus hollywoodiens, où le bruit et la fureur sont de chaque scène, leur lenteur peut laisser sur le bord du chemin/fauteuil bien des gens. Je dois avouer moi-même avoir laissé mon esprit vagabonder à certains moments pendant la séance 😴.
Le parti-pris de mise en scène est lui aussi particulier, une (presque) unité de lieu, ce théâtre où l’ensemble de l’intrigue va prendre place, dans des décors factices, en deux dimensions, qui m’ont rappelé l’art du papier découpé chinois et celui des marionnettes. Personnages adossés à des montagnes et murs en carton pâte, nuages de coton, tout se passe comme si les comédiens jouaient ce film comme une pièce du répertoire de la troupe qu’ils sont censée interpréter, le spectacle dans le spectacle, comme une mise en abyme vertigineuse. Dans cette atmosphère iréelle, souvent sombre, les scènes se succèdent comme des tableaux académiques d’une beauté incroyable.
Unité de lieu mais pas de temps. Le film va brosser une histoire de la Chine depuis les années 1920 jusqu’à la Révolution culturelle des années 1970, en passant par le Grand Bond en Avant (cette atroce famine qui a décimé les campagnes dans les années 1950). Tout cela par ellipses, au travers de personnages qui disent la grande « Histoire » dans leur trajectoire individuelle (c’est sûrement pour cette raison que l’œuvre n’a pas été interdite et que le cinéaste peut vivre tranquillement dans le sud du pays, nous sommes loin d’autres brûlots littéraires ou cinématographiques qui ont forcé leurs auteurs à quitter la Chine). Se faire embaucher par la troupe est d’ailleurs au premier chef, dans ces périodes troublées, de trouver vivres et couchage, avant la vocation elle-même, qui viendra après ; nous assistons plusieurs fois à ces repas collectifs, dans la cantine du théâtre. Cela fait écho à ces engagements sportifs ou artistiques dans des pays où il ne fait pas bon vivre, juste pour s’en sortir.
Le cinéaste rend ici hommage à son grand-père, chanteur d’opéra célèbre dans le Sichuan, dont il a lui-même suivi la voie, initié à cet art dès son plus jeune âge. Nous n’assisterons pas ici à un spectacle, simplement à de petites saynètes où chant et déclamation s’entremêlent, mais nous saisissons l’essence de cet art.
Film déroutant, sur lequel j’ai du mal à me faire une opinion, mais que je ne regrette pas d’avoir vu.
FB

Je n’avais pas eu vent de ce film malgré son prix à Locarno. Merci d’avoir attiré notre attention, même si, apparemment, il t’a laissée perplexe.
Oui, perplexe, mais finalement plutôt dans le bon sens. Toute ma patience apprise en Chine a dû me revenir 😉
Il y a quand même un côté très novateur dans l’approche cinématographique qu’il ne faut pas négliger.
Merci pour ton commentaire comme toujours.